par DANIEL FRANCO, le mardi 23 mai 2006
J'ai lu le journal, Libération, à l'affût d'une larve que j'aurais pu chauffer dans mes mains et faire éclore le soir. Tremper l'insecte dans l'encrier et rédiger ma page de blog, littéralement, avec des pattes de mouche. Je n'ai rien trouvé, rien qui soit blanc, laiteux, un peu suintant, et dans ce gras pelliculaire, trahisse une entéléchie dans la hâte de venir au jour. Peter Handke a écrit un long texte dans lequel il prend résolument son envol de corneille serbo-croassante. Il cite les citations qu'on fait de lui, qu'il soumet à l'ordalie de la source auctorale, "oui ça je l'ai dit, mais ça non, je ne l'ai jamais dit". Il était déjà parole d'évangile, il manquait l'appareil critique pour figurer parmi les saints dans la bibliothèque des sciences religieuses de l'EHESS. Evidemment, comme de nombreuses polémiques, celle-là écoeure dès le matin, en vertu de l'adage catoptrique : l'homme est une loupe pour l'homme. Handqueue, Handqueue, mais est-ce que Bozonnet a le droit de dé-programmer la pièce de Handqueue ? Voilà, toute la Yougoslavie est sauve, les morts sont ressuscités et entrent dans la gigue à la handqueue leu leu. Un artiste, dont le nom m'échappe, m'avait fait part d'une idée prodigieuse : mettre en scène le corps disloqué d'Icare, dont ne subsiste que la bouche, enflée, devenue prodigieusement bavarde. Mc Luhan avait élaboré une théorie ingénieuse sur l'emboîtement des médias : un medium a pour contenu un medium antérieur. Un film, par exemple, a pour contenu le médium de l'écriture (scénario ou roman), lequel à son tour à pour contenu le médium de la parole. Aujourd'hui, le DVD, avec son appareillage à entrées multiples, ses suppléments didactiques, à pour contenu le médium du film. Le problème, c'est qu'à un moment, le passage au niveau supérieur ne donne lieu à aucune différence formelle. Il n'y a pas de médium qui puisse se donner pour contenu le médium DVD. Seule la parole peut continuer à passer la tête, quelle que soit la hauteur d'enveloppement atteinte par le médium ultime. C'est pourquoi le jugement continue de se faire dans le cadre antique du tribunal, et dans une langue qui semble exemptée de toute mise à jour. L'espace juridique est l'espace dans lequel viennent au monde les plis nouveaux affectés à la défiguration du présent. Le palais de justice est l'équivalent volumique de la toile plane sur laquelle figure le portrait envouté de Dorian Gray. Bref, au terme du processus, il ne reste à la parole, après avoir traversé et surmonté l'architectonique des médiations, qu'à se faire face, comme Dorian Gray devant son tableau, le visage vivant et inentamé devant la réplique odieuse, et dont la laideur finalement n'est que ceci : l'archive simultanée de toutes ses épreuves.
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