mardi, juin 20, 2006

par JEAN PHILIPPE CONVERT, le mardi 20 juin 2006

Il y a quelques jours, en écoutant la radio française, j’ai entendu que “l’humoriste français, natif de Belgique, Raymond Devos est mort”. Le lendemain j’ai reçu par la poste les cartons d’invitation pour la résidence et les performances au Lokaal01. A côté de mon nom, il y avait, pour indiquer ma nationalité, un B. Ca m’a amusé. J’aurais pu téléphoner à Anvers pour leur dire qu’au lieu d’un B il aurait fallu un F. Mais j’ai pensé que le temps d’une exposition, ce pouvait être une chance que de changer de nationalité. Comme Raymond Devos, mais en sens inverse, je suis devenu un artiste belge natif de France. Il s’agit de la deuxième fois que cette petite mésaventure m’arrive ( remarque : j’ai spontanément utilisé le mot « deuxième » au lieu de « second » qui implique le plus souvent, dans la langue française qu’il n’y a que deux choses ; ma spontanéité est comme le désir du : jamais deux sans trois). Pour un festival de vidéo aux Etats-Unis, cet hiver, les organisateurs avaient commis la même erreur. Cette fois-ci j’ai envoyé un mail pour rectifier l’erreur. Ils n’en ont pas tenu compte et jusqu’à la fin du festival j’étais un vidéaste belge. Dans ce genre de manifestation, tout se fait à la dernière minute. C’est donc une faute vénielle que d’oublier de substituer un F à un B. Néanmoins, comme je n’ai pas eu la chance de naître belge, j’ai des pensées parfois très hexagonales, c’est-à-dire très marquées par une morosité qui vire à la paranoia. Car la France va mal, tous les journaux en parlent, les hommes politiques comme le reste de la population sont très disserts sur le sujet. Dernièrement une amie vivant à Toulouse m’a dit : « nous sommes un vieux pays ». Autant dire que plutôt que de m’ingénier à créer des films et des textes, je devrais plutôt m’occuper à trouver un bon plan épargne-retraite. Je n’en suis pas là mais je me dis que si j’étais un extra-terrestre francophone, pour comprendre la langue du pays, faisant reposer sa soucoupe volante dans le pays, au bout de deux ou trois mois passés au contact des autochtones je repartirais. A moins que je ne me plonge dans une lecture croisée des Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand et d’Ubu roi d’Alfred Jarry, les deux auteurs entre lesquels on oscille le plus en ce moment dans ce pays.

Il y a quelque part une phrase de Levinas qui dit : je n’ai pas de patrie, le seul endroit où je me sois chez moi, c’est la langue, je suis chez moi dans la langue française. Quelqu’un qui dit ça, c’est qu’il n’adhère pas complètement à la langue, c’est qu’il n’exclut pas un renversement qui ferait de la langue un univers hostile. Parfois le langage est une espèce de mauvaise voiture.

En ce moment mon pays ressemble à une mauvaise voiture. Elle est en train de faire un demi-tour. Vers quoi

1 Comments:

Anonymous Anonyme said...

La prochaine fois, envoyez une gomme. Pour faire d'un B un F, il suffit en effet de gommer les bords droits et un peu de la base du B...
Bonne continuation !
(Gaffe à ChateaubrianT, tout de même...)

18:29  

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