dimanche, mai 28, 2006

par DANIEL FRANCO, le samedi 27 mai 206

Il fait nuit, et pire que ça, c'est l'heure de l'échange, la pénombre n'est plus que ce banc de poissons aux écailles noires, assaillis par ce dais d'œufs blancs qu'ils viennent de pondre. C'est l'heure transitionnelle, pas le moindre bruit, le monde entier recouvre son état natif de peinture, avant d'être précipité à nouveau dans la rigueur photographique fourmillant de détails, puis, dans sa vérité cinématographique, quand la densité des figures devient sonore. La véritable origine du cinéma, c'est l'orage, avec le décalage entre la lumière et le bruit. Beauté des duels à mort, dans les films western. Le héros n'est pas celui qui tire plus vite que son adversaire, mais celui qui défie la rapidité de la bande-son. Tant que le film est muet, le mort reste débout, il ne peut pas s'effondrer, parce que l'image est l'élément de la résurrection. C'est pourquoi le christianisme, malgré la querelle byzantine des icônes, ne pouvait aboutir qu'à cette débauche de peintures, et passer le relais à l'institution du musée. Le judaïsme est une religion sonore, et son prophète Moïse, en mettant en bouche le charbon ardent, instaure par le bégaiement un éternel retour de la parole. Le bègue, tandis qu'il parle, souffle aussi, il souffle sur ses mots pour les éteindre, ou peut-être pour attiser en eux ce feu étrange qui les fait crépiter, mais ne les consume pas. Paul Celan, dans « l'Entretien dans la montagne » : « Le silence se fit donc, le silence, là-haut dans la montagne. Mais le silence ne dura pas longtemps, car lorsque le Juif s'en vient et en rencontre un autre, c'en est bientôt fini du silence, même dans la montagne. Car le Juif et la nature, cela fait deux, encore maintenant, même aujourd'hui, même ici. Les voici donc, les deux cousins, à gauche fleurit le martagon, fleurit sauvage, fleurit comme nulle part ailleurs, et à droite s'élève la raiponce ; et Dianthus superbus, l'œillet splendide, se dresse non loin de là. Mais eux, les cousins, Dieu leur pardonne, ils n'ont pas d'yeux. Ou plus exactement : ils ont, eux aussi, des yeux, mais un voile est tendu devant, non, non pas devant, derrière, un voile qui bouge ; aussitôt qu'une image y pénètre, elle se prend dans l'étoffe, et déjà un fil apparaît, qui se déroule et s'enroule autour de l'image, un fil du voile ; il s'enroule autour de l'image et engendre avec elle un enfant, mi-image et mi-voile. Pauvre martagon, pauvre raiponce ! » (éditions Verdier 2001, traduction Stéphane Mosès)

1 Comments:

Anonymous Anonyme said...

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19:01  

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