par DANIEL FRANCO, le vendredi 26 mai 2006
Vendredi, j'écris jeudi, comme disait Umberto Eco, dans l'île du jour d'avant. La sensation, de plus en plus, que j'ouvre un troisième poumon dans mon dos, et que c'est ainsi, la main tendue vers le révolu, et non pas la révolution, que je recouvre le goût de l'air. On ne devrait s'exprimer que comme ça : Le Révolu français, le Révolu bolchévique, et même, Le Révolu permanent. La notion de virtualité, de potentiel enfoui, la mèche providentielle qui se réserve à qui saura l'allumer, et ces intellectuels qui, à la manière des jeunes chats, grattent leur litière dans le mauvais sens. Aujourd'hui, avec la notion d'altermondialisme, la langue leur fait ce cadeau, aux jeunes chats, la vérité elle-même se déclare, comme une langue donnée aux chats. Altermondialisme allude à l'idée d'un autre monde. Les cellules nombreuses qui se regroupent en vertu de cet étendard, un indéfini absolu, se sussurent leurs intuitions vivaces. Tout ce pressentiment vertueux, mondialisé, qui compte les jours, cumule les observations à travers le monocle-mantra, et cependant cet anneau qui tourne n'est jamais que celui dont Nietzsche avait retrouvé le verbe, le revenir, et la substance, le même. Depuis toujours, pour moi, "autre monde" signifiait le monde dans lequel s'en vont les morts, ou pour les plus jeunes que le mot heurterait, c'étaient ceux qui "ont déménagé très loin" ou ceux qui sont partis pour de "longues vacances". Feuilleter les milliers de clichés d'Indiens d'Amérique du Nord d'Edward Curtis. Ou "Un monde disparu", de Roman Vishniac. Et soudain tout est clair. Ce monde autre que les altermondialistes appellent de leurs voeux n'a cessé d'être là, d'être blotti tout contre ce monde-ci, et chaque fois, en vertu de sa minorité, de sa proximité indéchiffrable, il a fait l'objet de récusations, d'amendements, de restrictions, et au bout du compte, le plus souvent d'exterminations concluantes. L'autre monde n'est pas celui que promet la Révolution, il est celui que ne cesse de réserver le Révolu, comme un soleil crépusculaire glissé dans un étui opaque, et comme l'enfance elle-même qui ne pouvait venir frapper les oreilles de Proust qu'à travers des parois tapissées de liège. Pour avoir le sens du devenir, rien ne sert d'avoir le nez collé sur ce présent-et-demi, dont l'excroissance de clarté n'est jamais que l'inversion de l'ombre portée qui ouvre un espace de fraîcheur à ceux qui nous ont devancés, et que nous ne voyons plus parce qu'à la différence de l'ange nouveau de Paul Klee, nous vivons la tête tournée dans le mauvais sens. Ce matin, me suis réveillé après avoir vendu, aux côtés de N., de minuscules barquettes de glace, des sachets de bonbons et des bougies. Toutes choses destinées à fondre, dans la main, dans la bouche, ou sur son séant, sous une petite frimousse de feu. A l'imitation de la mèche, progressivement rentrer la tête dans les épaules, et libérer le panorama à ceux qui sont derrière, sait-on jamais, au cas où leurs yeux ne sont pas clos, ou pas tout le temps, et qu'ils puissent ainsi les refermer, claire et distincte, au terme de cette pleine consolation.
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