mardi, juillet 04, 2006

par FRANK ROSE, le lundi 3 juillet 2006

La Dyle, la Dyle… Difficile. Je ne sais pas d'où me vient cette impossible passion pour orographie ? Elle conduit sans arrêt à une existence dissolue. Qui s'intéresse aux ravins, aux courbes de niveau, aux vallées souvent pénibles à remonter de cette ville ? Le Schaerbeek, le Maelbeek, le Molenbeek, le Rodebeek, la Zenne ou la tranquille Woluwe ? Cet amour de la Dyle est né un matin, très tôt, grâce à un chauffeur égaré qui me ramenait de l'aéroport de Zaventem:
- Je suis désolé mais je ne trouve plus mon chemin. Ce quartier a beaucoup changé. Dans les années 40 je venais pêcher sur la Woluwe avec mon père. [Prononcé : voluuv']
- Pêcher? Ici?
- Ici même. Regardez.
Dans la bruine j'aperçois une lueur fade, une tâche mouvante. Oui, c'est de l'eau qui coule. Du coup je revois le soir, quelques années auparavant, quand le Boulevard était devenu une petite mer.
Destin presque tragique de tous ces beeks de ville, ils sont inéluctablement entubés: la Woluwe tout au long du Boulevard du Souverain; la Zenne entre Nord et Midi; le Maelbeek depuis les étangs d'Ixelles. Et tant d'autres, innombrables, par exemple l'Arroyo Maldonado de Buenos Aires, le féroce Ravin Maldonné, aujourd'hui enterré, sans lequel l’Evaristo Carriego de Borges n'aurait pas vu le jour.
Par dégout de leur vie coulante dans un tube imbécile, j'ai cherché, depuis cette rencontre matinale, leurs marges encore aérées. Tout d'abord la Woluwe.
- Comment tu prononces ça? –me dit l'ami anglais.
Je cite sans remords le pêcheur:
- Woluwe.
- Ça sonne un peu comme vulve.
- Tu penses ?
- Ecoute.
J'écoute. Rien. Und dennoch! Je l'ai parcourue, moi, cette vulve hallucinée, depuis son hésitation initiale à 131 mètres (à peu près) au dessus du niveau de la mer, pas loin de l'Espinnette, jusqu'à cet endroit précis –Vilvoorde– où elle rend sa vie à la Zenne, sœur cadette de l'Escaut. De cette manière, se rendre à Vilvoorde ne consiste qu'à se laisser aller sur le Boulevard (de la Woluwe), en traversant d'une manière assez inattendue le dédale du Ring -- de l'Anneau je veux dire.(Même histoire avec la Zenne, du côté de Dilbeek et Drogenbos.)
Cette fatalité orographique m'a poussé un peu plus loin, sur les champs du Sud-Sud-Est (SSE selon ma boussole) du Brabant dit wallon, et même plus loin.
Un jour le poète me dit au revoir. Enfin, il est sur le point de me dire au revoir sous l'arche. Je l'ai perturbé, semble-t-il, dans cette opération délicate –dire au revoir– où souvent les yeux ne suivent pas le corps, car il m'a dit, sans que je le lui demande:- Ça, c'est la Dyle. Les sources sont en amont –me dit-il avec un long doigt qui pointe vers un Ouest lumineux, derrière son épaule–, à un kilomètre d'ici.
Je présume le cours en suivant la ligne qui descend des trembles. C'est la fin d'un après-midi fragile. Demeurant tout près de la Dyle, le poète (Luc Richir) avait dit:
L'œil où le pré prend sa source
Est un château de larmes
On y vient seul ou on repart
Dépareillé
C'est beau comme en rêve
Quand le vent découvre tes cheveux
Quelques années plus tard, vendredi passé (le 30 juin), dans l'ancien
Département de la Dyle…