par PASCAL CHABOT, le vendredi 30 juin 2006
J'aimerais un jour écrire une étude sur les arts poétiques. C'est un genre étonnant dans lequel celui qui prétend expliquer ce qu'est, à son goût, l'art poétique, s'inclut par là dans la confrérie très étroite de ceux qui savent ou qui sont supposés savoir. Ni la peinture, ni la sculpture, ni même la musique ne connaissent cette tradition. L'art du roman non plus. Il y a bien quelques efforts pour partager des vues sur le métier de romancier qui s'apprend si peu, comme par exemple ceux de Stevenson dans ses épatants Essais sur l'art de la fiction ou les magnifiques notes sur l'art d'écrire de Constantin Paoustovski, rassemblée dans un volume qui, en français, a pour titre La rose d'or. Il y a bien les correspondances célèbres qui montrent l'artiste à l'oeuvre, comme celle de Flaubert, ou les notes de lecture qui se transforment en credo, telle par exemple la réaction de Balzac à La chartreuse de Parme. Mais il n'y a pas, dans le domaine du roman, cette tradition des courts opus qui, en quelques conseils assortis d'une méditation, partagent avec un novice la vue claire de l'essence de la poésie.
Chacun a ses particularités; tous, pourtant, parlent de la même chose. Du temps où la poésie avait ses codes et ses règles, l'accent était plutôt mis sur le côté formel. L'art poétique de Boileau en est l'exemple typique. Ses splendides alexandrins sont une mine d'or pour comprendre les différents genres de la poésie et pour méditer sur cet étrange adjectif, réprouvé autant qu'admiré : "classique". Mais ce qui m'intéresse surtout, c'est qu'au milieu de ces conseils où les idées de goût, de plaisir et de mode se transforment parfois en une étude qui cherche à dire ce qui plaît, au milieu de tout cela, donc, apparaît l'homme - le poète. Et autant l'aspect formel concerne-t-il la tradition, donc ce qui est transmis de l'un à l'autre, ce qui suppose une communauté, autant l'autre aspect, la part secrète de chaque art poétique, est-il une rentrée en soi-même, une solitude. Cela se marque encore peu chez Boileau. Son sujet est surtout ce qu'il appelle la carrière perilleuse. Mais déjà, à travers toutes ces questions de goût qui paraissent - à tort, car ce n'est pas là leur seule caractéristique-, si mondaines, affleure le recueillement, l'intimité de celui qui écoute : N'offrez rien au lecteur que ce qui peut lui plaire. / Ayez pour la cadence une oreille sévère. Voilà qui, à mon sens, est typique de Boileau : ce désir de plaire qui met tout en oeuvre pour "parvenir", accompagné de cette oreille qui cherche à devenir absolue, c'est-à-dire qui cherche à se défaire totalement de la relativité du goût des autres.
Les arts poétiques ultérieurs ont souvent conservé ce dernier trait. Ils l'ont exaspéré en reléguant au loin le bruit des cours et le jugement des rois. Les fabuleux Conseils à un jeune poète de Max Jacob en sont un exemple. Il s'agit d'une descente en soi-même. Le poète a pris le pas sur la poésie. Et encore, chez Jacob, l'aspect studieux, au sens noble, le travail et la forme sont-ils toujours en question. Mais chez Rilke, dans ses Lettres à un jeune poète rédigées au début du vingtième siècle, l'appel de la solitude a effacé toutes les autres dimensions. Il n'y a plus, dans ces pages, rien de formel ni de technique, rien qui sonne comme un jargon de métier ou comme l'hygiène d'un travailleur des mots. Au contraire. Tout est dédié au poète, à sa divine solitude. Rilke veut le séparer des hommes. Dans les villes, il cherche à le mettre à l'écart. En montagne, il lui souhaite la plus grande intimité avec lui-même. Et si un vers éclôt de cette ascèse, ce sera tant mieux, mais ce sera aussi comme par surcroît, car la seule difficulté pour le poète est de renier tout ce qui, dans sa sensibilité et dans sa langue, ne vient pas de lui. Presque tout, en somme. Ne doit rester que cette étincelle : lui-même, à l'égard de laquelle la poésie sera comme le souffle qui attise.
Rimbaud, dans ses Illuminations, a lui aussi honoré le genre : Tu en es encore à la tentation d'Antoine. L'ébat du zèle écourté, les tics d'orgueil puéril, l'affaissement et l'effroi. Mais tu te mettras à ce travail : toutes les possibilités harmoniques et architecturales s'émouvront autour de ton siège. Des êtres parfaits, imprévus, s'offriront à tes expériences. Dans tes environs affluera rêveusement la curiosité d'anciennes foules et de luxes oisifs. Ta mémoire et tes sens ne seront que la nourriture de ton impulsion créatrice. Quant au monde, quand tu sortiras, que sera-t-il devenu? En tous cas, rien des apparences actuelles.
Chacun a ses particularités; tous, pourtant, parlent de la même chose. Du temps où la poésie avait ses codes et ses règles, l'accent était plutôt mis sur le côté formel. L'art poétique de Boileau en est l'exemple typique. Ses splendides alexandrins sont une mine d'or pour comprendre les différents genres de la poésie et pour méditer sur cet étrange adjectif, réprouvé autant qu'admiré : "classique". Mais ce qui m'intéresse surtout, c'est qu'au milieu de ces conseils où les idées de goût, de plaisir et de mode se transforment parfois en une étude qui cherche à dire ce qui plaît, au milieu de tout cela, donc, apparaît l'homme - le poète. Et autant l'aspect formel concerne-t-il la tradition, donc ce qui est transmis de l'un à l'autre, ce qui suppose une communauté, autant l'autre aspect, la part secrète de chaque art poétique, est-il une rentrée en soi-même, une solitude. Cela se marque encore peu chez Boileau. Son sujet est surtout ce qu'il appelle la carrière perilleuse. Mais déjà, à travers toutes ces questions de goût qui paraissent - à tort, car ce n'est pas là leur seule caractéristique-, si mondaines, affleure le recueillement, l'intimité de celui qui écoute : N'offrez rien au lecteur que ce qui peut lui plaire. / Ayez pour la cadence une oreille sévère. Voilà qui, à mon sens, est typique de Boileau : ce désir de plaire qui met tout en oeuvre pour "parvenir", accompagné de cette oreille qui cherche à devenir absolue, c'est-à-dire qui cherche à se défaire totalement de la relativité du goût des autres.
Les arts poétiques ultérieurs ont souvent conservé ce dernier trait. Ils l'ont exaspéré en reléguant au loin le bruit des cours et le jugement des rois. Les fabuleux Conseils à un jeune poète de Max Jacob en sont un exemple. Il s'agit d'une descente en soi-même. Le poète a pris le pas sur la poésie. Et encore, chez Jacob, l'aspect studieux, au sens noble, le travail et la forme sont-ils toujours en question. Mais chez Rilke, dans ses Lettres à un jeune poète rédigées au début du vingtième siècle, l'appel de la solitude a effacé toutes les autres dimensions. Il n'y a plus, dans ces pages, rien de formel ni de technique, rien qui sonne comme un jargon de métier ou comme l'hygiène d'un travailleur des mots. Au contraire. Tout est dédié au poète, à sa divine solitude. Rilke veut le séparer des hommes. Dans les villes, il cherche à le mettre à l'écart. En montagne, il lui souhaite la plus grande intimité avec lui-même. Et si un vers éclôt de cette ascèse, ce sera tant mieux, mais ce sera aussi comme par surcroît, car la seule difficulté pour le poète est de renier tout ce qui, dans sa sensibilité et dans sa langue, ne vient pas de lui. Presque tout, en somme. Ne doit rester que cette étincelle : lui-même, à l'égard de laquelle la poésie sera comme le souffle qui attise.
Rimbaud, dans ses Illuminations, a lui aussi honoré le genre : Tu en es encore à la tentation d'Antoine. L'ébat du zèle écourté, les tics d'orgueil puéril, l'affaissement et l'effroi. Mais tu te mettras à ce travail : toutes les possibilités harmoniques et architecturales s'émouvront autour de ton siège. Des êtres parfaits, imprévus, s'offriront à tes expériences. Dans tes environs affluera rêveusement la curiosité d'anciennes foules et de luxes oisifs. Ta mémoire et tes sens ne seront que la nourriture de ton impulsion créatrice. Quant au monde, quand tu sortiras, que sera-t-il devenu? En tous cas, rien des apparences actuelles.
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