lundi, juin 05, 2006

par LAURENT DE SUTTER, le lundi 5 juin 2006

Henri-Frédéric Amiel tenait un journal intime pour sauver son existence de l’échec vers lequel il la voyait tendre. Pour lui, le journal intime devait prendre la place du chef-d’œuvre qu’il n’écrirait jamais. Il avait raison : un journal intime est toujours un chef-d’œuvre de substitution. Le chef-d’œuvre de ceux qui n’ont pas d’œuvre tout court. Mais il y a plus. Non seulement un journal intime ne reçoit sa grandeur que de la grandeur de l’œuvre qu’il remplace, mais en même temps il ne reçoit son intensité que de celle de la vie qu’il remplace aussi. C’est ce que n’a jamais compris, par exemple, Gabriel Matzneff : c’est parce que sa vie, comme son œuvre, est un échec, que son journal intime est intéressant. Contrairement à Amiel, toutefois, cet échec n’est pas complet. Voilà pourquoi, sans doute, son journal intime sera toujours moins intéressant que celui de Amiel, de Marie Bashkirtseff ou des frères Goncourt.

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Le soleil brille sur Paris. Mais, dans les cafés, on peut encore ressentir une angoisse diffuse : et si ce soleil n’était qu’un faux départ de plus ? Le faux départ d’un été qui n’aura peut-être jamais lieu.

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Il faut se demander pourquoi l’on boit. A cette question, Gilles Deleuze donnait la réponse suivante : on boit pour pouvoir continuer à boire. Ce qui importe, dans la boisson, c’est l’ivresse de l’avant-dernier verre, celui à la suite duquel la possibilité de se remettre à boire le lendemain reste ouverte. Après une soirée très arrosée, on a toujours envie de donner raison à Deleuze. Avoir une éthique de la boisson. Hélas, cela reste le plus souvent un fantasme.

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Quelque part dans ses Répliques, Françoise Sagan avouait le secret de son classicisme : faire court, faire sec. D’une manière étonnante, ce secret était aussi celui de son romantisme. Aujourd’hui, tout le monde semble penser l’inverse : le romantisme passe par le rococo, les enluminures, les guirlandes de carnaval. Françoise Sagan, elle, savait que tout ce baroque d’écriture constituait l’équivalent littéraire de l’embrasement d’un fétu du paille. Beau, violent, impressionnant. Bref.