vendredi, juillet 07, 2006

par FRANK ROSE, le mercredi 5 juillet 2006

Toujours à Werchter, à l'entrée nous avons reçu nos bracelets, chaque année de plus en plus baroques. Nous sommes désormais marqués. A l'intérieur, la première chose qu'on remarque, c'est l'élément concentrationnaire. Nous sommes tous pelotonnés. Pas d'endroit où se cacher: pour cela, il faut quitter l'enceinte, suivre un des chemins balisés, rejoindre le camping et chercher une tente, de préférence la sienne. Mais nous n'avons pas de tente. Nous sommes des visiteurs de jour. Au risque de me faire haïr, j'insiste sur ce point: pas d'endroit pour se cacher. Un beau panoptique.
Nous sommes tout de suite confrontés au dispositif de la scène: d'une part, des fourmis qui produisent un bruit respectable; d'autre part, des grands écrans d'une qualité remarquable, jamais vu ça, qui suggèrent (et j'écris "suggèrent" car couleurs et ombres sur l'écran ont une brillance totalement absente sur la scène -pour le dire rapidement- réelle) que les fourmis sont en fait Anouk.
Signalons que l'emploi du temps est sagement partagé entre la contemplation de la scène et les aller-retour aux comptoirs. C'est un principe très simple, qui est secrètement ("secretly? c'mon!" – dit l'ami anglais) relié aux Tubes, aux balises, à l'enceinte, au bracelet, a la visibilité. Et dire que la Dyle, mon amoureuse, est à deux pas!
Nous avons grossièrement sous-estimé l'importance de l'allure dans ce contexte. Sans trop exagérer, on aurait pu dire que nous étions sortis du post du 14 juin sur ce blog ("Ils portent tous un costume – impeccable – et la plupart du temps, une cravate."). Même sans cravate, nous étions quelque part déplacés. Non pas à côté de la plaque. Bien au contraire. (L'ami anglais a bien voulu me révéler le sens caché de la britpop. Il a même apprécié la performance de Muse. Un fin connaisseur) Mais il reste que, lorsqu'on n'est pas habillé plus ou moins mainstream, on attire sur soi beaucoup d'agressivité. Lorsque nous en avons eu marre d'Anouk (là, c'était moi qui ai dû expliquer à l'ami anglais qui était Anouk), nous sommes partis vers "l'autre" scène (vers le Nord?). Elle n'était que pur rhizome. Les corps étaient parfaitement ordonnés. Les torses nus, bronzés. Les cheveux mouillés. L'arôme du hasch et de la marijuana avait été remplacé par l'odeur aigre des corps quasiment nus, trop proches les uns des autres. Le sol tremblait. Les bras levés suivaient les consignes de Too Many Djs. (Trop de Djs. Ha! Pas mal.) Un type torse nu (type footballeur à la fin d'un match) s'approche de moi et me demande:
- Qu'est que tu fous ici? Pourquoi portes-tu une veste?
On bavarde un peu en anglais. Puis je passe à l'espagnol. Ça va mieux. Vamos a la playa. J'ai cette facilité pour entrer dans la vie des autres. Il me dit dans son broken English:
- You can have our tent. This night we are not going to sleep.
- Où est votre tente?
Et l'ami anglais qui me souffle à l'oreille:
- Wait, wait, wait, tu ne sais pas ce qu'il a voulu dire avec "this night we are not going to sleep."
Décidément, il était dans l'interprétation.
Même dérive interprétative lorsque j'ai lu de vive voix une affiche écrite à la main qui disait "Debby is jarig". Je voulais demander ce que c'était. Et l'ami peureux qui me conseille: "You better don't ask." Qu'est-ce qu'il a pu imaginer? Je ne lui ai pas demandé. Pour des raisons qui me sont propres je voulais savoir qui était Debby à tout prix. Une serveuse me dit, en riant, qu'aujourd'hui c'est l'anniversaire de Debby, the girl with the dark short hair. Wow, that's what I was looking for. Puis il y a cet australien qui m'offre une fellation avec des geste assez parlants, presque trop. Puis un flamand qui m'arrête (je venais de prendre deux bières pour ne pas devoir trop faire la file) et qui me demande avec un ton péremptoire si je suis "de la Direction". Je sors mon espagnol et l'affaire est vite réglée. Il abandonne son ton agressif et commence à me raconter sa vie. Il a passé neufs ans à Singapour. Le pauvre! "Singapour est stérile" – m'a-t-il dit, et je le crois. Et ainsi de suite. J'aurais payé une fortune pour que ce soir Pave joue Grounded.
La chose ayant pris fin, nous avons repris le Tube pour repartir sur Louvain. Même chemin, mais cette fois-ci, hélas, bourré comme un cortège funèbre dans l'île de la Barbade. Où est-ce qu'on dîne à Louvain a 3.20 du matin? Qu'est qu'une ville? Qu'est-ce qui arrive au bracelet lorsqu'on quitte l'enceinte? Jack Daniels ou Glennfiddish? A suivre.