par FRANK ROSE, le vendredi 7 juillet 2006
Depuis que j'ai coupé mon bracelet je suis devenu un pariah, je ne fais plus du tikkun à la shekhiná. Mais au juste, comme ceci est arrivé? J'avais dit que "nous" étions affamés; en réalité c'était moi qui à 3 heures du matin voulait manger quelque chose. Dans un des cafés près de la gare de Leuven on nous a dit que pas loin de la Muntstraat il y a vait un restaurant ouvert jusqu'à l'aube. Quelque chose comme Nacht-Eule mais en flamand. (Ne fut-ce que pour cette info ça vaut la peine de lire le blog de Pylône.) Carbonade. Avec des frites? Non. Des croquettes? Ça va. L'ami anglais a juste mangé les croquettes. Et comme boisson? Avez-vous du rhum? Non. Du calvados? Oui, ça oui. Carbonade + Calvados (C+C, formule magistrale) nous ont permis de traverser sans trop de dégâts le dernier bout de nuit jusqu'à l'aube morne du samedi 1er juillet.
Que le ciel était triste! En marchant vers la gare nous avons été détournés par des bruits d'amusement et de fête sur ce qui devait être la Grand Place de là-bas. Dans le bar il y avait juste une fille très mince, filiforme, qui dansait je ne sais plus quoi, The Who, New Order, probablement du blues réel, du véritable blues. Le garçon qui l'accompagnait a dit à
l'ami anglais: You are sweet. C'était bien parti! Et, chose curieuse, l'anglais qui demande du Jack Daniels, c'était le blues probablement, voulait garder certains points de repère. Moi je suis plus rond, je suis plus femme: Glennfiddish.
On a attendu donc l'heure de départ du premier train vers Bruxelles. Nous avons marché vers la gare. C'est là où j'ai eu ma première vision: j'ai vu. J'ai enfin compris l'oeuvre de Giorgio de Chirico. Ce n'est pas le moment ni l'endroit pour se lancer dans Le Discours.
Je vais essayer d'être aussi synthétique que le sujet et les circonstances le permettent. Je pense que je dois avoir prononcé le mot "bourgeois" deux ou trois fois, car l'ami anglais a fait la remarque suivante: "this is the third time in the last 10 minutes that you utter the word "bourgeois"". Merdre, comment le dire? Les gares suçent tout. A cette fin, on ouvre des grandes avenues qui vont optimiser le processus de succion. C'est la même chose à Louvain ou a Cochabamba. Les gares ont cet effet de sédentarisation. Elles sont plus efficaces que l'armée ou la réligion. Des centaines d'ethnies de la planète ont été disciplinées à proximité d'une gare. De Chirico l'a bien vu et peint.
Comme une clé métaphysique, bien sûr. Il ne fallait pas rompre tout de suite la fascination des origines. Dans le cas de Leuven, il nous a été donné de nous proméner dans cet axe privilégié de la succion, nous mêmes emportés par ce mouvement indéfectible --------- vers la gare. (J'écoute en ce moment "Strings of Nashville".) Le style dominant était le style flamand bourgeois que j'instaure ici en ce moment. Avec quelques sursauts rationnalistes, bauhausiens. Et nous marchions, nous marchions, nous marchions vers la gare. Je me suis arrêté devant un magasin de chaussures. Ah, ces chaussures orphelines. Pas de lumière dans la vitrine, le ciel couvert faisait tout sombrer –surtout les dernières rangées– dans le désespoir de celui qui n'est jamais (ou presque) regardé.
Le train est ponctuel. Nous retrouvons nos places. Le ciel commence à devenir plus clair. L'ami anglais sort un canif de sa poche, un de ces ridicules canifs suisses qui servent à tout faire. Il ouvre les ciseaux minuscules. Il coupe son bracelet. Il me regarde.
Pas le mien.
Que le ciel était triste! En marchant vers la gare nous avons été détournés par des bruits d'amusement et de fête sur ce qui devait être la Grand Place de là-bas. Dans le bar il y avait juste une fille très mince, filiforme, qui dansait je ne sais plus quoi, The Who, New Order, probablement du blues réel, du véritable blues. Le garçon qui l'accompagnait a dit à
l'ami anglais: You are sweet. C'était bien parti! Et, chose curieuse, l'anglais qui demande du Jack Daniels, c'était le blues probablement, voulait garder certains points de repère. Moi je suis plus rond, je suis plus femme: Glennfiddish.
On a attendu donc l'heure de départ du premier train vers Bruxelles. Nous avons marché vers la gare. C'est là où j'ai eu ma première vision: j'ai vu. J'ai enfin compris l'oeuvre de Giorgio de Chirico. Ce n'est pas le moment ni l'endroit pour se lancer dans Le Discours.
Je vais essayer d'être aussi synthétique que le sujet et les circonstances le permettent. Je pense que je dois avoir prononcé le mot "bourgeois" deux ou trois fois, car l'ami anglais a fait la remarque suivante: "this is the third time in the last 10 minutes that you utter the word "bourgeois"". Merdre, comment le dire? Les gares suçent tout. A cette fin, on ouvre des grandes avenues qui vont optimiser le processus de succion. C'est la même chose à Louvain ou a Cochabamba. Les gares ont cet effet de sédentarisation. Elles sont plus efficaces que l'armée ou la réligion. Des centaines d'ethnies de la planète ont été disciplinées à proximité d'une gare. De Chirico l'a bien vu et peint.
Comme une clé métaphysique, bien sûr. Il ne fallait pas rompre tout de suite la fascination des origines. Dans le cas de Leuven, il nous a été donné de nous proméner dans cet axe privilégié de la succion, nous mêmes emportés par ce mouvement indéfectible --------- vers la gare. (J'écoute en ce moment "Strings of Nashville".) Le style dominant était le style flamand bourgeois que j'instaure ici en ce moment. Avec quelques sursauts rationnalistes, bauhausiens. Et nous marchions, nous marchions, nous marchions vers la gare. Je me suis arrêté devant un magasin de chaussures. Ah, ces chaussures orphelines. Pas de lumière dans la vitrine, le ciel couvert faisait tout sombrer –surtout les dernières rangées– dans le désespoir de celui qui n'est jamais (ou presque) regardé.
Le train est ponctuel. Nous retrouvons nos places. Le ciel commence à devenir plus clair. L'ami anglais sort un canif de sa poche, un de ces ridicules canifs suisses qui servent à tout faire. Il ouvre les ciseaux minuscules. Il coupe son bracelet. Il me regarde.
Pas le mien.
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