par LAURENT DE SUTTER, le jeudi 8 juin 2006
Aujourd’hui, les suppléments littéraires semblent entériner la grève de l’intelligence qui touche désormais l’édition francophone. Dans Libération, Robert Maggiori et Jean-Baptiste Marongiu vont même jusqu’à parler de football : leur papier arbore avec fierté le titre suivant : « Penser avec les pieds ». Heureusement, deux pages plus loin, Philippe Lançon rend compte de la publication de la traduction française des Cours de littérature anglaise de Borges. Il note à leur propos : « Les courts essais et les chroniques encore plus brèves publiées par l'écrivain au cours des années trente dans la revue El Hogar lui ont permis de faire de la critique littéraire (ou cinématographique) une oeuvre qui n'ennuie jamais (et même souvent moins que les livres qu'elle aborde). Ces cours de littérature anglaise, quoique tombés de l'oral, sont du même niveau. Borges évite les adjectifs. Il éclaircit le brouillard des interprétations. » Eviter les adjectifs : classicisme, encore.
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Chez Pierre, caviste rue de la Bourse, un couple de vignerons de Rians invite à déguster un Chardonnay blanc et un Achille rosé tirés de leur cuvée 2005. A l’intérieur de l’établissement comme sur sa terrasse, on se bouscule. Il y a des trentenaires en costume rayé, cravate à gros nœud, qui se disent très heureux que leur épouse attende un enfant de leur part. Il y a aussi des filles plus jeunes, très blondes, qui portent des T-shirts roses et des pulls beiges noués sur leurs épaules. Elles rient très fort. Cela fait déjà deux bonnes raisons de fuir.
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Si Gilles Deleuze détestait la littérature française de son temps, c’était, disait-il, parce qu’elle ne se préoccupait que de ce que D.H. Lawrence appelait « le sale petit secret ». C’est-à-dire, pour Deleuze, le moi. S’il détestait la littérature française de son temps, c’était en somme parce qu’elle était nombriliste. Mais que dirait-il aujourd’hui ? Aujourd’hui où tous les écrivains ont oublié qu’il existait d’autres personnes grammaticales que le « je » ; où tous les écrivains n’ont de cesses de proclamer leur marginalité alors que le conformisme petit-bourgeois (bruxellois ou parisien) est leur condition ; où tous les écrivains multiplient les grands mots pour faire croire, sans succès, qu’ils publient des grands textes ? Oui, que dirait Deleuze aujourd’hui ? Rien, sans doute. C’est ce qu’il y a de mieux à faire : écraser cette littérature dans le silence.
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Chez Pierre, caviste rue de la Bourse, un couple de vignerons de Rians invite à déguster un Chardonnay blanc et un Achille rosé tirés de leur cuvée 2005. A l’intérieur de l’établissement comme sur sa terrasse, on se bouscule. Il y a des trentenaires en costume rayé, cravate à gros nœud, qui se disent très heureux que leur épouse attende un enfant de leur part. Il y a aussi des filles plus jeunes, très blondes, qui portent des T-shirts roses et des pulls beiges noués sur leurs épaules. Elles rient très fort. Cela fait déjà deux bonnes raisons de fuir.
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Si Gilles Deleuze détestait la littérature française de son temps, c’était, disait-il, parce qu’elle ne se préoccupait que de ce que D.H. Lawrence appelait « le sale petit secret ». C’est-à-dire, pour Deleuze, le moi. S’il détestait la littérature française de son temps, c’était en somme parce qu’elle était nombriliste. Mais que dirait-il aujourd’hui ? Aujourd’hui où tous les écrivains ont oublié qu’il existait d’autres personnes grammaticales que le « je » ; où tous les écrivains n’ont de cesses de proclamer leur marginalité alors que le conformisme petit-bourgeois (bruxellois ou parisien) est leur condition ; où tous les écrivains multiplient les grands mots pour faire croire, sans succès, qu’ils publient des grands textes ? Oui, que dirait Deleuze aujourd’hui ? Rien, sans doute. C’est ce qu’il y a de mieux à faire : écraser cette littérature dans le silence.
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