lundi, juillet 31, 2006

Reprise début septembre

VACANCES

par REMY RUSSOTTO, le dimanche 30 juillet 2006



« Comment résister à la niaiserie de la vie ? », se dit Louis Skorecki. Comment résister à Claudia Cardinale, la fille à la valise ? La réponse est claire : il ne faut pas résister. Il ne faut jamais résister. Résister, c’est être stupide, pire, c’est être grossier. Car résiste-t-on à la mer, résiste-t-on aux nuages, résiste-t-on à l’ombre et résiste-t-on au soleil ? Résiste-t-on à ce qui nous fait sourire, comme à ce qui nous fait doucement pleurer ? Résiste-t-on à un baiser au bord de l’océan ? Non. Se laisser faire, se laisser embrasser, c’est être plus intelligent, c’est être plus sympathique, c’est être sage, et être sage alors, c’est être plus heureux. Voilà pour le Gucci du mental. Et voilà pour moi. « The contrary of war isn’t peace, it’s creation », voilà nous y sommes encore. Au cœur du plus beau film du monde, « Rent », celui qui nous a tout donné, PLUS L’IMPOSSIBLE. Nous vous embrassons Jonathan Larson et Chris Columbus (vous êtes toute l’Amérique ; Jonathan Larson vous n’êtes pas mort), nous vous embrassons Claudia Cardinale, nous t’embrassons Miss Marilyn Monroe, nous vous embrassons Veronika Lake, nous vous embrassons Jacques Perrin. Dans les larmes et dans la joie, nous pensons beaucoup à vous. Je vous aime. Many sweet kisses.


* Les notes précédant ce jour ont été inspirées a contrario des textes de Nicolas Grimaldi.

par REMY RUSSOTTO, le samedi 29 juillet 2006



Peut-on dire que la liberté conspire sans cesse avec la nécessité ? Que le destin se boucle par l’effet de la liberté, et non par un geste malin ? Ce qui devait nous emmener au grand air nous bouclerait-il ? « De l’air ! de l’air ! », disait l’autre angoissé. Effectivement, on devient angoissé quand tous les gestes semblent rétrospectivement malins, et le présent ressemble chaque jour davantage à un futur antérieur prisonnier. Car on a pris l’air pour le verrou et la guillotine pour la clef. On a cru qu’il y avait des questions, pire, on s’efforce de tirer partout des réponses chargées de sens et d’en être satisfait. Chacun a la paranoïa qu’il mérite.

De là donc, cet attendrissement, cette douce nonchalance se transformant chaque année davantage en un far niente de haute couture. De là cette prédisposition à dire oui, quand naturellement on a déjà oublié la question. Car des questions, on s’en balance. Au revoir donc, et bonjour mademoiselle. Comment allez-vous ce matin ? Vous semblez légère. Avez-vous bien dormi ? « Oh oui monsieur, j’ai merveilleusement bien dormi ». Parfait ! Aux libertés utiles, je sommeille. Et quand vient le jour, j’aurai tout oublié. Des effets ! des effets qui fascinent ! et jamais, grands dieux, ces horribles causes (aux causes utiles des catastrophes sans nombre).

vendredi, juillet 28, 2006

par REMY RUSSOTTO, le vendredi 28 juillet 2006


L’existence peut être régénérée, comme la régénération n’est pas liée irrémédiablement à la nouveauté. Elle se présente plutôt sous la forme d’une étrange lassitude. Et quoi de plus beau que la lassitude d’un long jour d’été quand il fait terriblement chaud ? Exister, c’est donc cela : avoir chaud. Oublier l’imposition de l’espace réduit posé devant soi, qui exigerait d’être vainement rempli, et élargir l’espace au temps (le faire courber, comme les jeunes filles, l’été venu, plongent dans l’eau et passent en ville). Savoir que la sensation de bonheur ne provient pas de l’espace mais du temps qui lui est confondu, de ce qu’il nous montre, de notre réactivité à la chaleur et de notre capacité d’absorption. Celle de voir les choses s’écouler et plonger dans les vagues est maintenant immense. La loi du temps, cet été, a décidé que nous serons heureux. La loi des jeunes filles me dit aussi que je le serai toujours plus (je repense à cette chanson de Chris Isaak « Pretty girls don’t cry… »).

jeudi, juillet 27, 2006

par REMY RUSSOTTO, le jeudi 27 juillet 2006


Parfois, ce que l’on peut faire de beau dans l’existence, c’est accomplir ce que les œuvres du passé ont entrevu. Non pas esquisser ce que l’art a montré dans l’histoire, mais l’accomplir. Ce que l’on veut, ce n’est pas connaître l’insoutenable intensité de quelque perfection artistique mais que cette perfection soit la mesure exacte de notre conscience, c’est-à-dire, à terme, peu de chose mais irréductiblement autant de joies. A ce sujet, et pour cette cause, il est un certain laisser-aller de notre existence, une pause prolongée, un déhanchement, une oisiveté élaborée qui sont… Abondance, générosité et possession : par rapport à ce que la musique exprime, je peux ne pas avoir honte pour tout ce qui existe devant elle, je peux me laisser aller et l’accomplir.

par REMY RUSSOTTO, le mercredi 26 juillet 2006


Le monde entier nous distrait, de même la conscience est toujours distraite de ce qu’elle a. Mais ce qu’elle a n’est pas en attente : elle l’a. De là vient un sentiment extrême de joie. Et la joie est peu de chose si elle n’est pas distraction, et distinction. Je suis distrait par ce que j’ai. Si manifeste d’ailleurs est la distraction de ce que j’ai, et sa démesure – qui est un effet de la conscience, que je peux vouloir quelque chose de beau. La possibilité de quelque chose de beau dépend de la distraction et donc de la possession. Or quand cette possession n’est plus un problème, ce qui semblait défier l’esprit et n’appartenir qu’aux chefs-d’œuvre de l’art peut devenir monnaie courante sous l’effet de ma volonté. Que ferai-je alors sinon la démesure et l’abondance du beau, logiquement ?

mercredi, juillet 26, 2006

par REMY RUSSOTTO, le mardi 25 juillet 2006


Tout ce que nous obtenons ressemble parfaitement à ce que nous désirons. Davantage que de ressemblance, il s’agit d’équivalence ; et cette équivalence est devenue absolue. Ayant obtenu quelque chose, nous sommes satisfaits. Et ayant obtenu quelque chose, nous désirons encore autre chose. Ce qui fait la réussite de la conscience, c’est son abondance. En ce sens, le temps semble si parfaitement passer qu’il semble tout le temps se surpasser. Ne se retrouve-t-on pas en effet après à un point beaucoup plus agréable qu’avant, continuant toute une vie à élargir nos désirs ? A la place de « la flaque visqueuse de notre temps » du Roquentin de Sartre et de sa nausée, il me vient à l’esprit autre chose. Mais cette chose, en attendant, me rend étrangement triste comme si je n’étais pas encore capable de quelque chose d’inimaginable ou de l’impossible. On court toujours derrière ses mauvais esprits, mais lentement on rigole.

lundi, juillet 24, 2006

par REMY RUSSOTTO, le lundi 24 juillet 2006


Un tableau n’a pas besoin d’être vu pour exister, comme une mélodie n’a pas besoin d’être entendue. Une œuvre d’art peut exister en n’empruntant pas au monde les conditions de sa représentation. On pourra dire qu’il y a un objet d’art là où il n’y a pas d’objet répondant à ces conditions. En ce sens, il n’est pas nécessaire qu’une œuvre d’art soit perçue pour qu’elle puisse être imaginée. Sa fascinante présence n’est pas liée aux conditions de sa représentation, mais à ce qu’elle exprime indépendamment de ces conditions. Sa présence dans le monde n’a de sens que par rapport à notre capacité d’imagination, et celle-ci est capable de tout si la représentation a perdu ses attributs essentiels. Par conséquent, et par l’imagination, ce qu’une œuvre d’art exprime est présent partout continuellement (elle ne répond pas aux limites de l’espace et du temps). Ce que l’on peut faire dans l’existence est d’accomplir continuellement ce que l’œuvre d’art esquisse dans l’histoire. Nous sommes donc capables de tout. Et l’impossible ne m’a jamais paru aussi simple.

le journal de REMY RUSSOTTO 24>30 juillet 2006

CETTE SEMAINE LE JOURNAL DE REMY RUSSOTTO

par FABRICE DELMEIRE, le dimanche 23 juillet 2006

dans ma capsule sous les rideaux

Quelque chose a fait levier, un point pivot. J’apporte sur la tombe de ma marraine - j’étais loin lors de son décès du cancer du sein, j’étais loin comme on peut l’être de sa famille - j’apporte sur la tombe de ma marraine, un bocal rempli de graines de pavot.

par FABRICE DELMEIRE, le samedi 22 juillet 2006

(coup de balai)

Se rendre au pèlerinage des bars. Valentina est saoule et supplie quelques mâles de venir la baiser dans les toilettes. Ses tentatives demeurent infructueuses tandis qu’elle se met à ramper sous les transats. Au bar, une très jeune adolescente sirote une bière en tirant sur sa Murati comme on fait monter une Ferrari dans les tours. Un couple lesbien à la discrétion câline s’essaie à la pétanque. La jeune fille blonde est une sylphide parée d’un top au bleu azuléen et ses mains en suspension dans les strates d’air chaud me donnent le tournis.

Dans la nuit de samedi, vers trois heures vingt, un garçon dans la trentaine, légèrement grisonnant, rentre en surfant sur des litres de pastis. Arborant une vareuse marine, Arnaud glisse tel chaussé de patins. Il y a quelques heures, il a fait une crise d’angoisse assez flash, s’est un temps écroulé de l’intérieur, puis le temps a coulé. Maintenant, rue Pletinckx, à deux pas du centre bourdonnant, le jeune homme est encadré par deux grands types dont une baraque. La conversation s’oriente comme il se doit rapidement autour du fric. Puis, sans qu’on sache très bien comment, deux coups de couteau brefs, deux éclairs. Déjà il gît, ivre mort.



(Est-ce que votre bus scolaire s’est déjà fait détourner ? Savez-vous qu’un groupe a déjà réalisé votre rêve le plus secret ? C’est comme si vous embrassiez sur la bouche Jennifer Lopez ou Johnny Depp. Ma douce, profites-en bien car bientôt ça va changer. On va remplacer tous les cœurs par des culs. J’avais presque réussi à me convaincre que c’étaient les chœurs, je venais juste d’enterrer la certitude que c’était le groove - oui, le groove - enfin je ne la ramenais plus sur l’arrache, l’urgence, le brut de décoffrage du scribe. Finalement, je me suis fini sur le curling, ses coups de balais, sa glissade équivoque. Et la France, une ptite médaille ? Qu’on tiendra dans nos moufles. www.myspace.com/dylanmunicipal Comment? Ca ressemble pas à Bénabar ?Tu feras pas l’étonné, je t’aurais prévenu. )

dimanche, juillet 23, 2006

par FABRICE DELMEIRE, le vendredi 21 juillet 2006

De bon matin, le sous-marin de la Porte de Namur, que nombre de distraits prennent pour une librairie-tabac, balance une torpille : une femme plutôt sensass, 30/35 ans environ, se pourvoit en l’achat de 5 ou 6 magazines féminins, Libé, plus Les Inrocks. Regards répétés, prononcés, érection, puis elle sort, comme si de rien n’était, pour m’attendre dehors. Là, les échanges sont sommaires. Il est convenu de se retrouver à 22 heures.

Chloé m’entraîne à une fête où je ne reconnais personne, à part les bouteilles de rhum. Avachi dans un canapé, je la considère finalement beaucoup moins jolie que ses seins, splendides, voluptueux, tandis qu’elle s’enquiert régulièrement de mes états de santé. Il est vrai que pour un visage pâle je sors assez peu de ma réserve.
Mes paupières se ferment inexorablement. - Hé, ce n’est pas la moment de dormir ! Je lui réponds que j’ai les yeux grands fermés. Après tout, sa robe remonte très haut sur ses cuisses ; on ne peut pas lui enlever ça, enfin, pas tout de suite.
Vient enfin le moment du départ. Elle me dit qu’elle me prend dans son sac. Le temps du trajet je tire la fermeture éclair à défaut de choses au clair.

Chez elle, à Saint-Gilles, elle m’apporte un whisky sur glace. Qui est le type qui a demandé ça ? Est-on en souvenir de trop de films et séries américaines ? Pour faire comme Bukowski? Toujours est-il qu’elle me l’apporte puis rapidement me roule une grosse pelle. Suffisante pour ériger de sacrés châteaux de sable. Elle se déshabille et se frotte sur tout mon corps. Sa chatte me glisse sur les reins, le torse, le visage.
Elle m’entraîne dans sa chambre : une grande pièce nue avec une cheminée où se presse l’intégrale de Sade. L’occasion est propice pour risquer un toucher anal. Ensuite on s’éternise dans un 69 assez laborieux. Soudain, j’ai un peu mal à la bite. Il y a comme un problème, du sang partout.
Je ne sais pas pourquoi, je repense à la fois où j’ai baisé une copine avec Fabrice. Lui s’activait derrière pendant qu’elle me suçait. Quand j’ai éjaculé, j’ai voulu me retirer, elle en a pris partout. Fabrice est venu juste après. Puis, en voyant la tête de la fille, on a éclaté de rire. Elle n’a pas trop apprécié.

Aux urgences, à 5 heures du matin, je croise la faune bigarrée attendue. Ca commence par un grand black : - Bonjour, je suis le docteur. L’individu me fait asseoir jambes écartées sur un fauteuil de gynécologie et me demande : - Pénétration, fellation, masturbation ? - Un peu de tout. Il a l’œil grivois, amusé puis s’éclipse bien vite. Se présente un autre type pareillement costumé. – Bonjour, je suis le docteur. - On s’occupe de moi, merci. (puis, devant son air dubitatif) J’ai déjà vu le docteur ! - Ah non, ce devait être un infirmier… Et le manège recommence. Viendra enfin le docteur, le vrai, qui m’explique que j’ai sans doute fait les frais de deux stagiaires gouailleurs. Je souris comme il convient puis reprends place sur le fauteuil désormais familier dans une posture, elle, pareillement étrangère. Il me regarde étonné : - Ah non, Monsieur, sur la chaise.

(J’ai déjà écrit cette page, j’ai déjà vécu cette scène. Impression de déjà-vu. La fille, elle, plus personne ne l’aurait jamais revue.)

vendredi, juillet 21, 2006

par FABRICE DELMEIRE, le jeudi 20 juillet 2006

Pour prester endéans les horaires de l’administration fiscale, il faut se lever à des heures totalement déraisonnables. Quant à qualifier l’état de mes finances, un accorte préposé à la perception de l’impôt me répond dans un sourire doux, voire prévenant : - Oui, c’est bien ça, vous n’avez qu’à mettre ça en revenus divers. Dans les couloirs gris et beige, d’autres égarés font les cent pas jusqu’à l’ascenseur ou s’affaissent sur des chaises. Nettoyage à sec. Si quelqu’un pouvait penser à appuyer sur la touche linge délicat.

Au jardin de L’Ami d’Enfance, restaurant où je fonds tel le moelleux au chocolat, la cascade d’une fontaine grenat entretient le mirage d’un soupçon de fraîcheur. Il est quinze heures dix aux couverts de ma compagne.
(Adriana, en aparté, faisant mine de me gronder :)
- Vous embrassez constamment les jeunes filles, je n’ai de cesse de vous surprendre en train de rouler des pelles !
- A défaut de rouler des mécaniques, je suis pingre en bâtiment. J’échafaude de grands ouvrages avant d’égarer les plans. Toutefois, la fréquence des activités que vous me prêtez m’étonne…
- Mais si, l’autre jour encore vous enlaciez Ava et Perséphone ! Etait-ce vous, était-ce leur cosmopolitan, leur joues prenaient quelques couleurs, leur faisant perdre un temps leur lividité.
- C’est curieux, je ne me rappelle pas.

Il y a tellement d’espace dans les films de Gus Van Sant, tellement de champs à conquérir, à habiter, il y a tellement de lenteur calligraphiée, tellement de chair et de place libre, qu’il faut tout s’y approprier. Last Days. Vers un absolu sidérant.

(Photo : Gerry, de Gus Van Sant, 2002, avec Matt Damon et Casey Affleck.)

jeudi, juillet 20, 2006

par FABRICE DELMEIRE, le mercredi 19 juillet 2006

Bruxelles, tes mercredis suffocants à la gomme arabique, inondés de l’idole. Les silhouettes se croisent sans se reconnaître en bordures des cases. - Alors, j’ai un 33, un 50 et un double expresso ! Prendre un pastis juste pour le plaisir de la carafe Ricard à l’ancienne, sensuellement bombée, courbes prometteuses d’une ivresse ensoleillée et son petit verre trapu bien campé sur son pied. Une grande tige, très masculine, gaulée comme un parallélépipède rectangle, vient s’imbriquer à la table voisine.



Dans les hauts-parleurs, une fois n’est pas coutume, des airs rétros, quelques flonflons puis de la bossa alanguie, diluée dans l’air telle un soupçon de menthe à l’eau. Les déplacements se font liquides.

Les joueurs de carte dissimulent l’argent sous un tapis de fortune effiloché, boivent des Carlsberg grenadine dans des verres à vin, mâchouillent pour certains un bâton de réglisse. Les doyens, en baskets bas de gamme et polo pastel, jaune ou parme, se plongent en une partie d’échecs. Mains devant la bouche, reposant le menton, croisées sur les genoux, en coupe au-dessus des yeux, tête penchée, bras croisés derrière la nuque, poing sur la tempe, ils reposent tels des olympiens de l’apnée cérébrale. Et l’aquarium est immense.

***


Deux heures du mat, j’ai des frissons (Chagrin d’amour). Reçu un curieux texto :
Je fais le Maure, hisse et ho / Et je fais route vers Carthage.
Le numéro m’est inconnu.
En quittant la cuisine, j’éteins le transistor, Françoise Hardy m’invite à courir à perdre haleine.

Et je ne connais d’icelles que ces nuits, longues où je dors sans personne. Une telle est à Hong-Kong, telle autre est dans l’Essonne. Et pourvu qu’elles répondent et pour peu qu’on les sonne, je me perds dans les fractions de quelques secondes.
De la petite monnaie.

Aujourd’hui le docteur Costa a refusé de me prendre en consultation.

- Vous n’êtes pas prêt, vous n’êtes pas encore assez désenchanté.
- Mais docteur, pourtant, je vous assure !…

mercredi, juillet 19, 2006

par FABRICE DELMEIRE, le mardi 18 juillet 2006

Elle prend une photo de nous, un autoportrait, à l’aide d’un jetable Kodak. Elle en fait plein, tout le temps. Tout comme elle filme depuis ses 13 ans avec la même caméra. - Des heures de film dont on pourrait faire un montage d’une heure trente sans même que ce soit chiant !



Elle marche très vite. C’est un jeune femme pressée. Elle a un peu chaud mais ne le montre pas. Trop heureuse dans son nouveau sweat, les manches un peu trop larges, avec une fente au poignet où on peut passer les pouces. Elle tire dessus pour les allonger encore. Et le col lui rappelle les sensations enfouies de l’enfance. A son poitrail un calicot.

Elle fait encore quelques allusions aimables mais rien qui facilite les échanges. Elle est toujours pendue à son portable. Elle parle de stalkers qui l’assaillent par sms, elle parle de types mignons, de coups d’un soir, des one night stand comme elle dit. Elle dit Ma mère m’a fait pleurer deux fois aujourd’hui. Oh je me suis cachée bien sûr - elle serre les bras devant le visage, fait mine de se pelotonner comme à l’arrière d’une voiture. Elle dit Ca va maman, c’est bon. J’ai un boulot, je commence un doctorat, j’ai des perspectives d’avenir. Elle pense : tu vas me lâcher un peu ? Elle dit Je ressemble trop à ma mère, ça me fait peur. Elle dit les gens n’ont aucun sens du cadre.

A la mort des étoiles la gravité est énorme, si importante que même la lumière ne peut s'en échapper. Après la nymphose dans un abri en gravier, l'animal, beaucoup plus foncé, remonte à la surface pour la métamorphose.

Et je danse une gigue parmi les papillons de nuit.

mardi, juillet 18, 2006

par FABRICE DELMEIRE, le lundi 17 juillet 2006

Cher monsieur,
En guise de mise en bouche avant vos séquences, il me plait de vous informer de ceci :
www.revue-pylone.blogspot.com
Une semaine, un auteur, un envoi par jours. L'idée vous plairait? J'en serai ravi.
Best, (ah, nos jeunes années)
Gilles

Cher,

Tout va trop vite : carambolages, synapses court-circuitées, l’adrénaline, c’est bien ma veine, m’envenime et puis me freine. Toutefois peut-être, oui, la persévérance et la quête.
Merci pour le lien vers cet ailleurs, l’intériorité qui s’y gagne et où je crèche.
f


(Le wagon Alsthom)

Un type qui me ressemble est assis dans un wagon Alsthom. Pour rien au monde nous ne souhaiterions nous rencontrer. Pourtant nous prétendons le contraire lorsque invariablement des inconnus nous ronronnent : vous ressemblez très fort à… ou encore je crois que je vous ai confondu avec quelqu’un. Ce quelqu’un peut être un mondain cocaïnomane de type Begbeider, d’autres évoquent un chanteur de rock indie grisonnant. Dans ces miroirs de courtoisie, on grappille des instants qui n’ont pas existés.

Vous rencontrez par hasard votre ex-femme. Etrangère la plus intime, l’Etrangère. Vous croisez dans les mêmes eaux territoriales. Vous ne vous reconnaissez pas, très fort. Vous aviez pourtant désamorcé cette bombe, par le passé.
Pourquoi choisit-on si mal (sa garde-robe, ses amis,…), on n’a de cesse d’en changer. Tout est déformé puis ça colle.
Vous dressez à la hâte un portrait-robot.

lundi, juillet 17, 2006

le journal de FABRICE DELMEIRE 17>23 juillet 2006

CETTE SEMAINE LE JOURNAL DE FABRICE DELMEIRE

par SEBASTIEN CARPENTIERS, le dimanche 16 juillet 2006

Pièce élémentaire du puzzle, écrivais-je.

« il importe peu en l’occurrence, contrairement à une idée fortement ancrée dans l’esprit du public, que l’image de départ soit réputée facile (…) ou difficile (…) : ce n’est pas le sujet du tableau ni la technique du peintre qui fait la difficulté du puzzle, mais la subtilité de la découpe » (Georges Perec).

Lever au point du jour. Jus d’oranges fraîchement pressées.
J’attends de cet élixir qu’il démultiplie mes forces jusqu’au prochain week-end.

Calme dimanche.
Le dimanche, je suis libre de toutes les contraintes imposées par mon patron.
Pas de barbecue. Sommes-nous de mauvais Belges ?

Peu avant seize heures, image tragique de Schumi vainqueur :



Vers dix-huit heures, j’erre chez Filigranes, puis rentre les mains vides. Parti sans envie, je reviens sans livre.

Dîner en terrasse : panzerotti. Bienheureux sommes-nous.

Ce moustique, victime de ma perversité, n’en dira pas autant, tout aplati sur le carrelage de la cuisine :



Arrosage des plantations.
On pourra bientôt vivre en autarcie.

Neuf bouteilles d’eau, d’un litre et demi, pour abreuver les plants de basilic, de persil, de ciboulette, de thym, de lavande, de menthe, de citronnelle, de persil plat et de roquette. Plus quelques fleurs, trois fourrés de buis, deux bougainvillées, un frêle olivier et une vigne.

La dernière pièce du puzzle représentera donc un jardinier.

C’est le seize juillet deux mille six et il est presque onze heures du soir.

dimanche, juillet 16, 2006

par SEBASTIEN CARPENTIERS, le samedi 15 juillet 2006

Jour magnifique, symbole de la victoire des hommes sur le profit, et des faibles sur les exploiteurs de tous bords ; revanche des opprimés et des déshérités sur les puissants.

Lever trop matinal pour un samedi.

Première mission : allumer la machine à café pour la femme qui a dormi avec moi.



Matinée essentiellement consacrée à des travaux ménagers, tels l’aspiration de poussière, le déplacement d’objets, le nettoyage des sols ; petites obligations qui cimentent le couple, favorisent l’hygiène et valorisent notre logement.

Et illustrent, surtout, une prétention fatigante à vouloir faire les choses soi-même.

Déjeuner en terrasse.

14:57. Schumi, premier en 1:15.493. Merde.
Nous regardons cette catastrophe majeure se produire, en direct, avec Nicolas, rentré de Luxembourg. « Est-ce que le luxe embourgeoise ? », lui avais-je demandé, platement, en ouvrant la porte.

Deuxième mission : soins à apporter aux plantations.



Ci-dessus, portrait de groupe avec bougainvillée, vigne et olivier écrasés sous soleil brûlant.

Longue promenade dans les champs, jusqu’en fin d’après-midi.
Mon amoureuse marche pieds nus dans la terre sablonneuse ; elle devra se laver les pieds au retour.

Dîner en terrasse.
Comment peut-on expliquer qu’une salade de feta, olives, tomates, huile de la réserve précieuse, origan, échalotes et ciboulette du jardin, soit transformée par le simple fait de couper extrêmement fin ses ingrédients ?

La fatigue m’emporte au lit assez tôt.

par SEBASTIEN CARPENTIERS, le vendredi 14 juillet 2006

Jour de révolte.

Panem et circenses.
Boulangerie : plus de couques suisses longues.
Librairie : le magazine ‘Elle’ disserte sur le régime d’été ; ‘Le Monde des Livres’ le subi.

Débarquement à l’atelier. Rituel matinal d’installation à mon bureau.
Concentration intense : le respect de la règle garantit l’efficacité du rituel et, au-delà, la préservation de l’ordre sacré. Il est important d’ouvrir les programmes selon une séquence définie et immuable.



On devine, à travers l’enchaînement des icônes, visible ci-dessus, un manquement à l’ordre sacré qui ne présage rien de bon. Bourde dramatique dont je paierai les conséquences. Une bagarre entre collègues éclate d’ailleurs peu après. Refuge aux toilettes, où je réalise le glacial ‘Autoportrait aux deux faïences’.


Midi trente. Descente à la cantine.
Sandwiche et blague d‘employé de banque : « Vittorio de Sicav tournait des films d’action par obligation ».

L’ordre sacré est complètement rompu. Je n’ai pas respecté le rituel.

De retour à mon poste, je fais d’ailleurs le point, en écrivant à mon âme sœur :
« Coucou mon amour !
Ici tout va bien. On a tous décidé de changer de fonction et de bureau. Chacun prend la place de la personne la plus proche à sa droite. J'ai eu beaucoup de chance, je suis devenue directrice. J'ai un beau bureau, une fonction importante, de belles boucles d'oreille et une jolie jupe.
Sinon rien de spécial. Mon nouveau travail n'est pas si difficile ».
Un peu plus tard, suite aux conséquences du sacrilège commis ce matin, nouvelle missive à ma dulcinée :
« Ici tout va bien... On est sans chefs...
On a profité de leur absence pour prendre le pouvoir. On a tout réorganisé.
Je suis devenu directeur d'un service qui n'existe pas. C'est beaucoup plus cool. J'ai un bureau le long du boulevard, une belle vue, et une grande télé ».
Un peu plus tard, dans le chaos général de ce vendredi après-midi, je demande à un collègue, assis, de photographier l’agression que je vais commettre sur Bruno.



Retour au foyer.

L’ordre est rompu : le Liban est en feu. Espérons que nos amis libanais pourront quitter ce brasier au plus vite.

Départ pour les collines autour de Liège, où, reçus comme des princes, mais sans le Prince, nous passons une délicieuse soirée.

23:40. Retour pour Bruxelles.



La photo penchée accroît l’impression de vitesse. J’en ai bien besoin parce que je souhaite arriver dans mon lit au plus vite.
Le jour prend fin.

vendredi, juillet 14, 2006

par SEBASTIEN CARPENTIERS, le jeudi 13 juillet 2006

6:38. La faim du chat me réveille. Tiré du lit par une envie de Whiskas.

Mais les autres, que font-ils ?

Des mères accouchent, des médecins greffent, des psychologues rassurent, des psychanalyse se taisent, des juges tranchent, des chiens mordent des hommes, de gros poissons mangent des petits, des soldats fouillent des cavernes afghanes. Des hommes violent des femmes, des femmes vendent leurs enfants, des politiques débattent, des magiciens font disparaître des objets, des inventeurs en font apparaître. Des professeurs enseignent leur savoir, des vieux meurent et avec eux des langues s'éteignent, des explorateurs fouillent le fond de la mer, des gens tremblent, d'autres gigotent. Des Africains se scarifient, des Russes boivent, des Chinois font du karaté, des vieilles Anglaises boivent du thé, des Argentins se rebellent, des Mexicains font la sieste. Des traducteurs traduisent, des scaphandriers visitent des épaves, des chercheurs trouvent, des chasseurs tirent, des curés prient, des postiers trient les lettres, des testeurs testent, des promeneurs marchent, des gourous convainquent, des pauvres s'enrichissent, des riches s'appauvrissent, des riches s'enrichissent, des pauvres s'appauvrissent. Des personnes gémissent, des individus réfléchissent, des radins calculent, des généreux donnent, des transsexuels admirent leur nouvelle bite, des pompiers éteignent des feux, des policiers arrêtent des bandits. Un se cure le nez, un met ses chaussures, un coiffeur coupe, un charcutier étripe. Des généticiens clonent, des gens s'embrassent, se frappent, se caressent, se pincent. Des dormeurs rêvent, ronflent, pètent, bavent, des malades toussent, des gens dorment, d'autres pissent, d'autres chient, d'autres vomissent, d'autres saignent, d'autres se mouchent, des gens se noient, des gens se pendent, des gens étouffent, des gens tombent de haut, des gens pleurent. Certains rient, certains se rasent, certains se sèchent, d'autres s'épilent. Des enfants naissent, des vendeurs arnaquent, des chanteurs hurlent, des malheureux se piquent, des acteurs tournent; des gens conduisent des voitures. Des travailleurs percent, trouent, forent, vissent, clouent, rivettent, poncent, gravent, collent, accolent, décollent, montent, démontent, plient, déplient, fondent, moulent, tracent, taillent, détaillent. Des absents ont tort.


16:09. Fin des heures rémunérées. Toute la journée, devant mon écran rayonnant : longue séance de luminothérapie. D’humeur contrariée, j’écrirais à l’Ordre des Médecins : « Nous comptons sur votre fidélité au serment d’Hippocrate pour que vous fassiez cesser cette médication abusive ».

Mais, plutôt d’humeur radieuse, nous sortons, ce qui, demain, me permettra d’écrire à ma moitié, entre deux affaires urgentes :

« Mon amour,

Merci pour ce beau voyage qu’on a fait ensemble.
C’est vrai qu’on est pas parti très loin.
Qu’il faisait lourd.
Qu’il faisait noir, et alors qu’on ne voyait pas beaucoup les paysages.
Qu’on est parti que 10 minutes.
Que c’était avec ma vieille Polo de 10 ans.
Qu’on a pas trouvé tous les produits qu’on avait indiqués sur la liste.

Mais c’était magnifique.

Bisous ».


Une photo de notre voyage.





Rayon boucherie.

Bref retour au foyer, pour une tentative avortée de défaire le truc en bois qui pend sur ce costume bleu.



Régal de salade liégeoise. Dite aussi « salade au vinaigre » : haricots verts, pommes de terre, lardons et leur sauce, ciboulette, un chouïa d’échalotes, vinaigre blanc. Institution culinaire familiale pour dîner animé ; fatigués, on délire tous un peu.

Le jour est déjà dépassé.

jeudi, juillet 13, 2006

par SEBASTIEN CARPENTIERS, le mercredi 12 juillet 2006

Jour d’apparence commune.

« Si je ne suis pas moi, qui le sera ? » (Henry David Thoreau, toujours. Ce ‘Mille et une Nuits’ est maintenant amorti).

Entre deux dossiers soporifiques, j’écris à mon ange :
« Coucou mon amour !
Rien de particulier ce matin. Si ce n'est qu'un grand singe est arrivé. Il est venu se présenter. Il s'appelle Jean-Marie. Il vient faire un stage dans le cadre de ses études en management. Il a l'air d'être très propre et semble bien maîtriser les outils informatiques. Il boit beaucoup de café et toutes les deux heures, il part fumer une cigarette. Il est charmant. Il vient d’un parc naturel, aime la forêt humide et le Risk Management. Je crois qu’il est appelé à remplacer Daniel.
Je pense l'inviter un de ces soirs à la maison.
Bisous ».
Espresso-strong / sucre-strong.

Plus tard, une personne ressemblant fâcheusement à feu Daniel (in memoriam) s’est installée à la place que celui-ci occupait avant sa disparition sacrificielle. Je reste coi devant l’arrivée mystérieuse et inattendue de cet avatar. Serait-ce lui ?



Comment va réagir le grand singe appelé à le remplacer ?

Midi trente. Descente pour la pause déjeuner. L’odeur pestilentielle qui règne dans l’ascenseur est-elle destinée à valoriser le parfum un peu moins nauséabond qui imprègne la cantine ?

Gros coup de barre. Somnolence sur chaise à roulettes. Il faut garder la tête haute, et bouger de temps en temps pour éviter l’engourdissement total. Etat prolongé de prostration hypnotique sur mon bureau.

16:13, j’immortalise mon départ :



Fait-on bien de dire ce qu’on pense à ses amis les plus chers ? Cas pratique et malheureux sur fonds de promenade.

Inspection policière des plantations qui ornent notre jardin-terrasse. La menthe prospère à tel point qu’on pourra bientôt faire notre dentifrice nous-même.

19:45. Quelle injure ?

Rien d’autre à cacher dans mon journal aujourd’hui.Rien de caché derrière la banalité du jour. Beau soleil couchant.

mercredi, juillet 12, 2006

par SEBASTIEN CARPENTIERS, le mardi 11 juillet 2006

Jour normal, bien régulier. Membre ordinaire d’une classe prolifique.

Laissons l’ouvrage où on l’avait abandonné ; avec Henry David Thoreau : « Je suis dans l’affreuse nécessité d’être ce que je suis ».

Aussi ce matin.

Moins de dix minutes d’automobile séparent le foyer familial de l’officine où l’on m’emploie charitablement comme gratte-papier. Presque personne sur la route.

Presque personne au boulot non plus.
Plus personne nulle part, d’ailleurs…
On est vraiment tout seul.

Avant d’entrer, on rencontre quatre individus sur la prairie qui borde l’immeuble où j’exerce mes talents :


Je m’attache, dès l’aube, à expédier au plus vite les affaires que Lucienne, l’institutrice qui me sert de chef, a osé me confier. C’est le prix à payer pour être tranquille cet après-midi.

Entre deux misérables instants travaillés, j’écris à ma bien-aimée :
« Mon amour,
Ici tout va bien.
J'ai, cependant, tué quatre très jeunes clients par erreur.
Heureusement, je n'ai rien. Cet incident aurait pu mal tourner.
On aurait vraiment dit des malfrats.
Bisous ».

Après-midi sur le mode de l’enthousiasme feint en établissement bancaire.

Entre deux strophes de l’épitaphe que je rédige en hommage à Daniel (in memoriam), et entre deux vagues d’ennui, j’écris à nouveau à ma perle :
« Coucou mon trésor,
Ici ça va bien mais il fait très chaud. Il doit y avoir un problème avec le chauffage. On a reçu des instructions qu’on pouvait enlever nos cravates. C’est terrible. Je transpire à mort. On ne peut pas ouvrir les fenêtres. On a soif, on voit des mirages au loin, alors on avance pour trouver de l’eau, mais on ne trouve rien. Il paraît que le chauffagiste pourrait arriver dans l’après-midi, mais il est fort probable qu’il se perde dans les dunes, parce que la piste a été recouverte de sable. Quelques salariés ont tenté de couper les aérations qui soufflent de l’air chaud, mais sans résultats. Je crains d’attraper une insolation, parce que les photocopieuses et l’économat sont loin, et les palmiers rares pour se protéger du soleil. Viens m’apporter à boire. Bisous ».
16 :09. Je pars, déshydraté.

Fumier de revenu cadastral. Une fois de plus, malédiction, un papier manque pour la déclaration.

Jour normal, donc. Journée classée.

lundi, juillet 10, 2006

par SEBASTIEN CARPENTIERS, le lundi 10 juilllet 2006

Journée de base. Pièce élémentaire du puzzle. Pas un coin, ou, à la limite, un bord. Non, non, du standard.

Comme se le demandait Nicolas : « pourquoi, malgré des années de dressage, le lundi matin est-il toujours si pénible ? ».

A peine arrivé à la garderie qui me prend en charge, j’écris à ma chère et tendre :
« Bonjour mon amour,
Je suis vraiment triste ce matin. Sans doute le sais-tu, la banque qui m’emploie a décidé de procéder, une fois par an, à un sacrifice humain et, pas de chance, c’est tombé cette fois sur mon collègue Daniel, ce qui m’ennuie beaucoup parce que j’avais parfois besoin de lui pour me conduire.
Tant pis, on trouvera d’autres solutions…».
Mon poste de pilotage :



Au second plan, on aperçoit Daniel, un peu avant son exécution.

Midi trente, descente à la cantine : «manger est un projet sans fin».

Extases administratives variées.

Entre deux insignifiants moments travaillés dans l’après-midi, j’écris encore à ma douce:
« Ici, avec Lucienne, l'institutrice qui nous sert de chef, ça tourne mal.
Elle a trouvé les champignons qu'on avait mis dans son café.
Elle a appelé la police et on a été entendu un par un, dans des bureaux séparés.
On a pas eu le temps de se coordonner avec mes collègues, j'ai inventé une histoire et, pris dans mes explications, j'ai accusé Daniel et le nouveau.
Il est possible que je rentre un peu plus tard.
Bisous ».
16:09, je pars.

Daniel était de toute façon condamné à mort, justifiai-je à mon amoureuse lors de mon retour au foyer.

Carpaccio de bœuf, avec huile d’olive de notre réserve précieuse. Investir dans une descente à la cave valait le coup, malgré la puanteur des poubelles et la fraîcheur certaine qui règne dans les bas-fonds.

Journée de base, donc. Consolons-nous avec les grands hommes qui ont pensé pour nous : « La majorité des hommes mènent une vie de tranquille désespoir » (Henry David Thoreau).

Je m’impose ce jour dans une grande famille que je ne connais pas.

le journal de SEBASTIEN CARPENTIERS 10>16 juillet

CETTE SEMAINE LE JOURNAL DE SEBASTIEN CARPENTIERS

par FRANK ROSE, le dimanche 9 juillet 2006

Ce matin nous nous sommes donnés rendez-vous devant la Porte de Louvain à 10h30. Je redoutais quelque chose dans la présence du nom « Louvain ». Rendez-vous des familles, neuf au total avec les gosses. C'est « la seule porte ancienne qui reste », m'avait dit mon compère. Notre connaissance du lieu étant raisonnablement limitée, nous avons parcouru l'enceinte en briques rouges du domaine de chasse des Ducs du Brabant (qu'on appelle aujourd'hui le parc de Tervuren) pour vérifier qu'il n'y avait d'autre « porte ancienne » que celle dite de Louvain. Après avoir longé le mur pendant un kilomètre, nous avons repéré un chemin étroit qui se glissait entre deux propriétés, juste au point où les eaux des étangs de Tervuren (et de Vossem) se déversent dans une petite rivière. A l'entrée du chemin un panneau indiquait VOER en majuscules. Oui, Voer, c'est le nom à l'origine de Tervuren et, je l'avoue, je ne pourrais pas dire si c'est féminin ou masculin. De retour à ce qui ne pouvait être désormais que la Porte de Louvain, nous avons retrouvé l'autre famille avec laquelle nous nous étions donnés rendez-vous. Le père (lui) parle au père (moi) pour dire : « Je propose de parcourir le chemin de la Voer » [de « la » Voer ?, j'hésite encore]. Télépathie. Passion à distance. Dès qu'on est sur le sentier, le père parle au père pour dire : «Ce n'est pas habituel de retrouver toutes ces mauvaises herbes sur le bord de la Voer. En général, en Flandre ils nettoient ». Moi j'aime ça, les orties, le chardon, la rhubarbe, ce que les allemands appellent d'un très beau mot : Unkraut. Tout-à-coup mon fils m'arrête et signale d'un doigt dubitatif un petit signal de repérage : Voer-Dijleland. Voilà Dyle qui réapparaît ce dimanche. Dyle c'est un amour difficile – à expliquer aux autres. Un amour de loin.

L'après-midi, le pique-nique terminé sur la pelouse du parc, nous nous dirigeons vers notre prochain rendez-vous. Encore des familles, des enfants. Et –chose importante– nous ne quittons pas le bassin de Dyle. Boris Lehman a présenté à cette occasion son film «Tentatives de se décrire», drôle et interpellant comme lui. (Plus d'infos :
http://www.borislehman.be/) Alors que les adultes suivaient plus ou moins fascinés le parcours de ce crucifié appelé Lehman, les enfants regardaient la finale de la coupe du monde.

Il me semble que le travail de Lehman ne relève pas de l'autobiographique. Je m'insurge contre cette caractérisation. C'est carrément une graphie qui se substitue à la vie – car la vie n'y est pas, mélancolie incurable. La graphie cherche par l'image la vie. La vie n'y est pas. Reste la graphie.

Bio-grapho-fagie qui met fin à cet exercice temporairement autonome.

par FRANK ROSE, le samedi 8 juillet 2006



Martirio: La nuit dernière je n'ai pas pu m'endormir à cause de la chaleur.
Amelia: Moi non plus!
Magdalena: Je me suis levée pour me rafraîchir. Il y avait des orages noirs. Quelques gouttes sont même tombées.
(Federico García Lorca, La casa de Bernarda Alba)
(Le tableau est de Paco de la Torre, "Nada la turbe" (2005))

par FRANK ROSE, le vendredi 7 juillet 2006

Depuis que j'ai coupé mon bracelet je suis devenu un pariah, je ne fais plus du tikkun à la shekhiná. Mais au juste, comme ceci est arrivé? J'avais dit que "nous" étions affamés; en réalité c'était moi qui à 3 heures du matin voulait manger quelque chose. Dans un des cafés près de la gare de Leuven on nous a dit que pas loin de la Muntstraat il y a vait un restaurant ouvert jusqu'à l'aube. Quelque chose comme Nacht-Eule mais en flamand. (Ne fut-ce que pour cette info ça vaut la peine de lire le blog de Pylône.) Carbonade. Avec des frites? Non. Des croquettes? Ça va. L'ami anglais a juste mangé les croquettes. Et comme boisson? Avez-vous du rhum? Non. Du calvados? Oui, ça oui. Carbonade + Calvados (C+C, formule magistrale) nous ont permis de traverser sans trop de dégâts le dernier bout de nuit jusqu'à l'aube morne du samedi 1er juillet.
Que le ciel était triste! En marchant vers la gare nous avons été détournés par des bruits d'amusement et de fête sur ce qui devait être la Grand Place de là-bas. Dans le bar il y avait juste une fille très mince, filiforme, qui dansait je ne sais plus quoi, The Who, New Order, probablement du blues réel, du véritable blues. Le garçon qui l'accompagnait a dit à
l'ami anglais: You are sweet. C'était bien parti! Et, chose curieuse, l'anglais qui demande du Jack Daniels, c'était le blues probablement, voulait garder certains points de repère. Moi je suis plus rond, je suis plus femme: Glennfiddish.
On a attendu donc l'heure de départ du premier train vers Bruxelles. Nous avons marché vers la gare. C'est là où j'ai eu ma première vision: j'ai vu. J'ai enfin compris l'oeuvre de Giorgio de Chirico. Ce n'est pas le moment ni l'endroit pour se lancer dans Le Discours.
Je vais essayer d'être aussi synthétique que le sujet et les circonstances le permettent. Je pense que je dois avoir prononcé le mot "bourgeois" deux ou trois fois, car l'ami anglais a fait la remarque suivante: "this is the third time in the last 10 minutes that you utter the word "bourgeois"". Merdre, comment le dire? Les gares suçent tout. A cette fin, on ouvre des grandes avenues qui vont optimiser le processus de succion. C'est la même chose à Louvain ou a Cochabamba. Les gares ont cet effet de sédentarisation. Elles sont plus efficaces que l'armée ou la réligion. Des centaines d'ethnies de la planète ont été disciplinées à proximité d'une gare. De Chirico l'a bien vu et peint.
Comme une clé métaphysique, bien sûr. Il ne fallait pas rompre tout de suite la fascination des origines. Dans le cas de Leuven, il nous a été donné de nous proméner dans cet axe privilégié de la succion, nous mêmes emportés par ce mouvement indéfectible --------- vers la gare. (J'écoute en ce moment "Strings of Nashville".) Le style dominant était le style flamand bourgeois que j'instaure ici en ce moment. Avec quelques sursauts rationnalistes, bauhausiens. Et nous marchions, nous marchions, nous marchions vers la gare. Je me suis arrêté devant un magasin de chaussures. Ah, ces chaussures orphelines. Pas de lumière dans la vitrine, le ciel couvert faisait tout sombrer –surtout les dernières rangées– dans le désespoir de celui qui n'est jamais (ou presque) regardé.
Le train est ponctuel. Nous retrouvons nos places. Le ciel commence à devenir plus clair. L'ami anglais sort un canif de sa poche, un de ces ridicules canifs suisses qui servent à tout faire. Il ouvre les ciseaux minuscules. Il coupe son bracelet. Il me regarde.
Pas le mien.

samedi, juillet 08, 2006

par FRANK ROSE, le jeudi 6 juillet 2006

(A bord du vol AZ 152)

Hier, la veille de mon départ, je n'arrivait plus à dormir. Je me suis tourné et retourné. J'ai lu le chapître XVII de The Purple Land. Je l'ai relu. La belle histoire de Dolores et Richard éclairés –un feuilleton sudaméricain à l'intention d'un public victorien avide d'exotisme et de passion– par la puissante lumière de ma petite Mighty Bright. Je ne savais plus si c'était le voyage (un cruel aller-retour pendant la journée pour une ville italienne) ou la visite inattendue d'un revenant – un ami belge transplanté à Paris (ça arrive) dont j'avais un peu perdu la trace lors d'une dernière rencontre il y a neuf ans..
J'ai fait ce lien stupide entre le voyage d'aujourd'hui, cet aller-retour un peu crazy, et l'apparition du revenant hier soir. C'était la chaleur? Le rhum? Je me suis dit que le revenant était venu comme une annonce. La petite angoisse de la veille du voyage a pu ainsi prendre corps. Ce matin, lorsque je m'apprêtais à partir à Zaventem et que je ruminais encore cette litanie du revenant annonciateur, j'ai décidé de couper mon bracelet de Werchter après l'avoir porté pendant six jours. L'idée était un peu simple: "Je ne veux pas qu'on me retrouve avec un bracelet." Cette idée renfermait deux sous-idées ancilliaires: "Je ne veux pas qu'on puisse me
retrouver par ce bracelet"; et "je ne veux pas qu'on me retrouve avec un objet qui m'accuse". C'était un truc très simple.
Il convient de noter que j'avais posé une question indiscrète à mon revenant, lorsqu'il avait porté son regard rêveur vers le Sud-Sud-Ouest (SSW selon ma boussole).
- Dis, tu n'as pas habité à Ottignies?
- Oui, j'ai passé ma jeunesse à Ottignies.
- Et tu te souviens d'une rivière à Ottignies ou près d'Ottignies?
- Vaguement. Je ne sais pas.
Il a négligé la Dyle. Nous aussi (l'ami anglais et moi). D'une certaine manière, nous ne l'avons pas courtisée suffisamment sur le chemin du retour, lorsqu'à 2 heures et quart du matin nous marchions affamés. J'ai pensé (et je pense en ce moment de foutues turbulences) aux mots de Berman/Malkmus: I'm gonna bury my name in you. Je vais enterrer mon nom en toi. Et Dyle (car elle ne plus La Dyle) qui répète: mon nom en toi est enterré.
(J'ai croisé Dyle au moment du check-in. Belle.)

vendredi, juillet 07, 2006

par FRANK ROSE, le mercredi 5 juillet 2006

Toujours à Werchter, à l'entrée nous avons reçu nos bracelets, chaque année de plus en plus baroques. Nous sommes désormais marqués. A l'intérieur, la première chose qu'on remarque, c'est l'élément concentrationnaire. Nous sommes tous pelotonnés. Pas d'endroit où se cacher: pour cela, il faut quitter l'enceinte, suivre un des chemins balisés, rejoindre le camping et chercher une tente, de préférence la sienne. Mais nous n'avons pas de tente. Nous sommes des visiteurs de jour. Au risque de me faire haïr, j'insiste sur ce point: pas d'endroit pour se cacher. Un beau panoptique.
Nous sommes tout de suite confrontés au dispositif de la scène: d'une part, des fourmis qui produisent un bruit respectable; d'autre part, des grands écrans d'une qualité remarquable, jamais vu ça, qui suggèrent (et j'écris "suggèrent" car couleurs et ombres sur l'écran ont une brillance totalement absente sur la scène -pour le dire rapidement- réelle) que les fourmis sont en fait Anouk.
Signalons que l'emploi du temps est sagement partagé entre la contemplation de la scène et les aller-retour aux comptoirs. C'est un principe très simple, qui est secrètement ("secretly? c'mon!" – dit l'ami anglais) relié aux Tubes, aux balises, à l'enceinte, au bracelet, a la visibilité. Et dire que la Dyle, mon amoureuse, est à deux pas!
Nous avons grossièrement sous-estimé l'importance de l'allure dans ce contexte. Sans trop exagérer, on aurait pu dire que nous étions sortis du post du 14 juin sur ce blog ("Ils portent tous un costume – impeccable – et la plupart du temps, une cravate."). Même sans cravate, nous étions quelque part déplacés. Non pas à côté de la plaque. Bien au contraire. (L'ami anglais a bien voulu me révéler le sens caché de la britpop. Il a même apprécié la performance de Muse. Un fin connaisseur) Mais il reste que, lorsqu'on n'est pas habillé plus ou moins mainstream, on attire sur soi beaucoup d'agressivité. Lorsque nous en avons eu marre d'Anouk (là, c'était moi qui ai dû expliquer à l'ami anglais qui était Anouk), nous sommes partis vers "l'autre" scène (vers le Nord?). Elle n'était que pur rhizome. Les corps étaient parfaitement ordonnés. Les torses nus, bronzés. Les cheveux mouillés. L'arôme du hasch et de la marijuana avait été remplacé par l'odeur aigre des corps quasiment nus, trop proches les uns des autres. Le sol tremblait. Les bras levés suivaient les consignes de Too Many Djs. (Trop de Djs. Ha! Pas mal.) Un type torse nu (type footballeur à la fin d'un match) s'approche de moi et me demande:
- Qu'est que tu fous ici? Pourquoi portes-tu une veste?
On bavarde un peu en anglais. Puis je passe à l'espagnol. Ça va mieux. Vamos a la playa. J'ai cette facilité pour entrer dans la vie des autres. Il me dit dans son broken English:
- You can have our tent. This night we are not going to sleep.
- Où est votre tente?
Et l'ami anglais qui me souffle à l'oreille:
- Wait, wait, wait, tu ne sais pas ce qu'il a voulu dire avec "this night we are not going to sleep."
Décidément, il était dans l'interprétation.
Même dérive interprétative lorsque j'ai lu de vive voix une affiche écrite à la main qui disait "Debby is jarig". Je voulais demander ce que c'était. Et l'ami peureux qui me conseille: "You better don't ask." Qu'est-ce qu'il a pu imaginer? Je ne lui ai pas demandé. Pour des raisons qui me sont propres je voulais savoir qui était Debby à tout prix. Une serveuse me dit, en riant, qu'aujourd'hui c'est l'anniversaire de Debby, the girl with the dark short hair. Wow, that's what I was looking for. Puis il y a cet australien qui m'offre une fellation avec des geste assez parlants, presque trop. Puis un flamand qui m'arrête (je venais de prendre deux bières pour ne pas devoir trop faire la file) et qui me demande avec un ton péremptoire si je suis "de la Direction". Je sors mon espagnol et l'affaire est vite réglée. Il abandonne son ton agressif et commence à me raconter sa vie. Il a passé neufs ans à Singapour. Le pauvre! "Singapour est stérile" – m'a-t-il dit, et je le crois. Et ainsi de suite. J'aurais payé une fortune pour que ce soir Pave joue Grounded.
La chose ayant pris fin, nous avons repris le Tube pour repartir sur Louvain. Même chemin, mais cette fois-ci, hélas, bourré comme un cortège funèbre dans l'île de la Barbade. Où est-ce qu'on dîne à Louvain a 3.20 du matin? Qu'est qu'une ville? Qu'est-ce qui arrive au bracelet lorsqu'on quitte l'enceinte? Jack Daniels ou Glennfiddish? A suivre.

mercredi, juillet 05, 2006

par FRANK ROSE, le mardi 4 juillet 2006

Je marchais alors (cela fait exactement 7 ans) à travers des champs Pélasges. Des oignons, du maïs et du seigle. L’embouteillage avait été impossible á gérer. En trois heures, nous avions à peine parcouru 25 kilomètres sur la route Haacht-Werchter. A travers ces champs j'écoutais le riff très repérable de The Hexx, puis la voix de Stephen Malkmus "…my Palestinian nephew…". Lorsque nous arrivions à l'entrée, ils jouaient un minable "Summer Babe", très Werchter. Le seuil franchi, Bob Nastanovitch disait au revoir à une foule plutôt désintéressée. C'était la fin de Pave.

Cette fois-ci je ne marchais plus, juste un peu. Train (air conditionné). Bus (pas d'airconditionné). Et puis le Tube, bien gardé à son entrée par les forces de police. Sous le soleil de ce vendredi 30 juin, nous avons marché, l'ami anglais et moi, sur la route goudronnée et étroite allant de Rotselaar à Werchter, balisée par des clôtures en fer empêchant tout détour ou égarement. Il fallait juste suivre la balise. Pas besoin de regarder derrière soi. Pas de foule non plus. A 18.15, le spectacle avait déjà commencé depuis plus de 5 heures. Tout à coup la balise à droite disparut. C'était un ravin. Plus qu'un ravin. L'eau coulait bien, même très bien. Un canal? Et ces méandres? Il faudrait être fou pour creuser un canal comme ça. J'eu une vague intuition. Et si c'était la Dyle? Nous n’étions pas loin de Louvain et je me rappelais que, sur l'autoroute de Liège, un grand panneau en flamand annonce "Dijlevalleij". Et puis je savais que la Dyle s'empresse depuis ses timides débuts wallons à rejoindre le chemin de l'Escaut. Le doute resta intact jusqu'à lundi (hier). Cette rivière, c’était presque-la-Dyle car il lui manquait son nom pour exister. C'était une rivière qui pouvait être, qui, peut-être, était la Dyle. Je n'ai même pas fait comme si elle était la Dyle. Lorsque je lui fis remarquer le courant de la rivière, l'ami anglais, toujours prêt à faucher dès sa racine tout semblant de discours bucolique, observa:
- Oui, oui, très beau, mais regarde ce magasin en briques grises sur l'autre rive.
Fin mars, lorsqu'il fumait une cigarette à l'extérieur, je lui ai parlé des narcisses – car l'éclosion des narcisses à l'échelle quasi-industrielle des parterres communaux a toujours quelque chose de méditatif et inattendu. Comme lui. Très vite il observa qu'il n'avait jamais imaginé que ces fleurs jaunes pouvaient être des narcisses. J'ai alors pensé à cet échange entre le poète nicaraguayen Rubén Darío et Valle-Inclán le Manchot:
- Dîtes, Valle, quelle étrange et belle plante! Quel est son nom?
- Ça c'est le nénuphar dont vous parlez tant dans vos poèmes.

Même si nous allions rater Mogwai et d'autres groupes, nous nous arrêtâmes pour manger un bout (curry worst + frites) et regarder la fin du match Argentine-Allemagne dans une minuscule télé devant laquelle une bonne centaine de soi-disant festivaliers sautaient, rotaient et criaient. Je savais que s’ils allaient aux penaltys, c'en était fini pour l'Argentine. Je regardais le visage d'un rastafari blanc, un garçon très jeune, qui portait le maillot du River Plate. Je voyais bien qu'il faisait un grand effort pour ne pas trahir ses émotions. Lorsque l'Argentine a marqué son premier but il a serré légèrement son poing, d'une manière imperceptible. A la fin, je n'osais plus le regarder. Il était temps pénétrer davantage (car nous étions déjà dans le Tube) dans l'enceinte…

mardi, juillet 04, 2006

par FRANK ROSE, le lundi 3 juillet 2006

La Dyle, la Dyle… Difficile. Je ne sais pas d'où me vient cette impossible passion pour orographie ? Elle conduit sans arrêt à une existence dissolue. Qui s'intéresse aux ravins, aux courbes de niveau, aux vallées souvent pénibles à remonter de cette ville ? Le Schaerbeek, le Maelbeek, le Molenbeek, le Rodebeek, la Zenne ou la tranquille Woluwe ? Cet amour de la Dyle est né un matin, très tôt, grâce à un chauffeur égaré qui me ramenait de l'aéroport de Zaventem:
- Je suis désolé mais je ne trouve plus mon chemin. Ce quartier a beaucoup changé. Dans les années 40 je venais pêcher sur la Woluwe avec mon père. [Prononcé : voluuv']
- Pêcher? Ici?
- Ici même. Regardez.
Dans la bruine j'aperçois une lueur fade, une tâche mouvante. Oui, c'est de l'eau qui coule. Du coup je revois le soir, quelques années auparavant, quand le Boulevard était devenu une petite mer.
Destin presque tragique de tous ces beeks de ville, ils sont inéluctablement entubés: la Woluwe tout au long du Boulevard du Souverain; la Zenne entre Nord et Midi; le Maelbeek depuis les étangs d'Ixelles. Et tant d'autres, innombrables, par exemple l'Arroyo Maldonado de Buenos Aires, le féroce Ravin Maldonné, aujourd'hui enterré, sans lequel l’Evaristo Carriego de Borges n'aurait pas vu le jour.
Par dégout de leur vie coulante dans un tube imbécile, j'ai cherché, depuis cette rencontre matinale, leurs marges encore aérées. Tout d'abord la Woluwe.
- Comment tu prononces ça? –me dit l'ami anglais.
Je cite sans remords le pêcheur:
- Woluwe.
- Ça sonne un peu comme vulve.
- Tu penses ?
- Ecoute.
J'écoute. Rien. Und dennoch! Je l'ai parcourue, moi, cette vulve hallucinée, depuis son hésitation initiale à 131 mètres (à peu près) au dessus du niveau de la mer, pas loin de l'Espinnette, jusqu'à cet endroit précis –Vilvoorde– où elle rend sa vie à la Zenne, sœur cadette de l'Escaut. De cette manière, se rendre à Vilvoorde ne consiste qu'à se laisser aller sur le Boulevard (de la Woluwe), en traversant d'une manière assez inattendue le dédale du Ring -- de l'Anneau je veux dire.(Même histoire avec la Zenne, du côté de Dilbeek et Drogenbos.)
Cette fatalité orographique m'a poussé un peu plus loin, sur les champs du Sud-Sud-Est (SSE selon ma boussole) du Brabant dit wallon, et même plus loin.
Un jour le poète me dit au revoir. Enfin, il est sur le point de me dire au revoir sous l'arche. Je l'ai perturbé, semble-t-il, dans cette opération délicate –dire au revoir– où souvent les yeux ne suivent pas le corps, car il m'a dit, sans que je le lui demande:- Ça, c'est la Dyle. Les sources sont en amont –me dit-il avec un long doigt qui pointe vers un Ouest lumineux, derrière son épaule–, à un kilomètre d'ici.
Je présume le cours en suivant la ligne qui descend des trembles. C'est la fin d'un après-midi fragile. Demeurant tout près de la Dyle, le poète (Luc Richir) avait dit:
L'œil où le pré prend sa source
Est un château de larmes
On y vient seul ou on repart
Dépareillé
C'est beau comme en rêve
Quand le vent découvre tes cheveux
Quelques années plus tard, vendredi passé (le 30 juin), dans l'ancien
Département de la Dyle…

lundi, juillet 03, 2006

le journal de FRANK ROSE 3>9 juillet

CETTE SEMAINE LE JOURNAL DE FRANK ROSE

par PASCAL CHABOT, le dimanche 2 juillet 2006

Dimanche...
L'oisiveté est la mère de tous les oiseaux.

par PASCAL CHABOT, le samedi 1 juillet 2006

J'ai rêvé cette nuit d'un groupe d'éléphants nageant dans l'océan. Ils étaient huit ou neuf, en ligne, et avançaient rapidement, brassant l'eau des pattes avant, propulsés par le mouvement de leurs cuisses immenses. Sur l'eau bleu nuit, éclairée par la lune, le bleu sombre de leur peau se détachait. Certains semblaient furieux. Ils plaquaient leur trompe contre les flots, et s'en servaient comme d'une rame supplémentaire. Une impression placide de puissance fougueuse mais résignée, entourait la flottaison de ces pachydermes que l'eau portait sans effort.
Un moment, ils croisèrent une masse noire. C'était un éléphant mort, flottant sur le dos, les pattes en l'air comme quatre colonnes sans chapiteau. Un frisson parcourut la troupe à la
vue de ce frère échoué. Cependant le cadavre qui n'avait rejoint nul cimetière ne les arrêta pas.
Il les fit plutôt redoubler d'effort et de panique, leurs yeux larges jetant parfois vers l'horizon désert, des oeillades inquiètes. Leurs trompes se dressaient alors. L'un d'eux, mâle en charge de l'expédition, bârit. Les mères frottaient les plus jeunes de leurs flancs. On voyait trembler leurs fronts intelligents. Où allaient-ils? Quelle côte avaient-ils déserté?

par PASCAL CHABOT, le vendredi 30 juin 2006

J'aimerais un jour écrire une étude sur les arts poétiques. C'est un genre étonnant dans lequel celui qui prétend expliquer ce qu'est, à son goût, l'art poétique, s'inclut par là dans la confrérie très étroite de ceux qui savent ou qui sont supposés savoir. Ni la peinture, ni la sculpture, ni même la musique ne connaissent cette tradition. L'art du roman non plus. Il y a bien quelques efforts pour partager des vues sur le métier de romancier qui s'apprend si peu, comme par exemple ceux de Stevenson dans ses épatants Essais sur l'art de la fiction ou les magnifiques notes sur l'art d'écrire de Constantin Paoustovski, rassemblée dans un volume qui, en français, a pour titre La rose d'or. Il y a bien les correspondances célèbres qui montrent l'artiste à l'oeuvre, comme celle de Flaubert, ou les notes de lecture qui se transforment en credo, telle par exemple la réaction de Balzac à La chartreuse de Parme. Mais il n'y a pas, dans le domaine du roman, cette tradition des courts opus qui, en quelques conseils assortis d'une méditation, partagent avec un novice la vue claire de l'essence de la poésie.
Chacun a ses particularités; tous, pourtant, parlent de la même chose. Du temps où la poésie avait ses codes et ses règles, l'accent était plutôt mis sur le côté formel. L'art poétique de Boileau en est l'exemple typique. Ses splendides alexandrins sont une mine d'or pour comprendre les différents genres de la poésie et pour méditer sur cet étrange adjectif, réprouvé autant qu'admiré : "classique". Mais ce qui m'intéresse surtout, c'est qu'au milieu de ces conseils où les idées de goût, de plaisir et de mode se transforment parfois en une étude qui cherche à dire ce qui plaît, au milieu de tout cela, donc, apparaît l'homme - le poète. Et autant l'aspect formel concerne-t-il la tradition, donc ce qui est transmis de l'un à l'autre, ce qui suppose une communauté, autant l'autre aspect, la part secrète de chaque art poétique, est-il une rentrée en soi-même, une solitude. Cela se marque encore peu chez Boileau. Son sujet est surtout ce qu'il appelle la carrière perilleuse. Mais déjà, à travers toutes ces questions de goût qui paraissent - à tort, car ce n'est pas là leur seule caractéristique-, si mondaines, affleure le recueillement, l'intimité de celui qui écoute : N'offrez rien au lecteur que ce qui peut lui plaire. / Ayez pour la cadence une oreille sévère. Voilà qui, à mon sens, est typique de Boileau : ce désir de plaire qui met tout en oeuvre pour "parvenir", accompagné de cette oreille qui cherche à devenir absolue, c'est-à-dire qui cherche à se défaire totalement de la relativité du goût des autres.
Les arts poétiques ultérieurs ont souvent conservé ce dernier trait. Ils l'ont exaspéré en reléguant au loin le bruit des cours et le jugement des rois. Les fabuleux Conseils à un jeune poète de Max Jacob en sont un exemple. Il s'agit d'une descente en soi-même. Le poète a pris le pas sur la poésie. Et encore, chez Jacob, l'aspect studieux, au sens noble, le travail et la forme sont-ils toujours en question. Mais chez Rilke, dans ses Lettres à un jeune poète rédigées au début du vingtième siècle, l'appel de la solitude a effacé toutes les autres dimensions. Il n'y a plus, dans ces pages, rien de formel ni de technique, rien qui sonne comme un jargon de métier ou comme l'hygiène d'un travailleur des mots. Au contraire. Tout est dédié au poète, à sa divine solitude. Rilke veut le séparer des hommes. Dans les villes, il cherche à le mettre à l'écart. En montagne, il lui souhaite la plus grande intimité avec lui-même. Et si un vers éclôt de cette ascèse, ce sera tant mieux, mais ce sera aussi comme par surcroît, car la seule difficulté pour le poète est de renier tout ce qui, dans sa sensibilité et dans sa langue, ne vient pas de lui. Presque tout, en somme. Ne doit rester que cette étincelle : lui-même, à l'égard de laquelle la poésie sera comme le souffle qui attise.
Rimbaud, dans ses Illuminations, a lui aussi honoré le genre : Tu en es encore à la tentation d'Antoine. L'ébat du zèle écourté, les tics d'orgueil puéril, l'affaissement et l'effroi. Mais tu te mettras à ce travail : toutes les possibilités harmoniques et architecturales s'émouvront autour de ton siège. Des êtres parfaits, imprévus, s'offriront à tes expériences. Dans tes environs affluera rêveusement la curiosité d'anciennes foules et de luxes oisifs. Ta mémoire et tes sens ne seront que la nourriture de ton impulsion créatrice. Quant au monde, quand tu sortiras, que sera-t-il devenu? En tous cas, rien des apparences actuelles.